Comme nous l’avons vu précédemment les films d’horreur sont importants pour leur fond, les thématiques qu’ils explorent, mais il y a un autre côté qui fait que je les adore, c’est celui de l’image !

Je suis très attachée au traitement de l’image, à tout ce qui est visuel. Evidemment, ça ne fait pas tout dans une oeuvre. Un scénario et une intrigue intéressante sont nécessaires à toute bonne oeuvre de fiction la plupart du temps. Néanmoins, sublimer un scénario avec une belle direction artistique peut produire des expériences filmiques fort saisissantes !
Le thème de l’horreur permet une exploration visuelle beaucoup plus riche car il ouvre le champ des possibilités lié à la création. Et ce, notamment quand le fantastique intervient : créatures incroyables, des décors magnifiques, des maquillages sublimes etc…
L’enjeu visuel de la créature et des décors
Comme je l’ai dit dans la partie 2, mes films d’horreur préférés sont souvent ceux liés à des créatures. Toutefois, les films de créatures peuvent rentrer dans deux catégories différentes.
La science fiction
On trouve assez souvent des créatures dans le genre de la science-fiction comme avec Alien (et généralement les films d’extraterrestres), La Mouche de Cronenberg ou le génial The Thing de Carpenter. Dans ce genre de production, il me semble que la créature dont le design va demander beaucoup de travail et de réflexion, implique pour le spectateur un rapport poussé avec son propre corps. En effet, les corps de nos personnages en science-fiction sont souvent mal-traités, subtilisés, envahis, ou en pleine mutation. Toutes ces actions impliquent des trésors en termes de design, de maquillages et d’effets spéciaux pour des résultats sensationnels ou parfois plus subtils. Le travail de Rob Bottin pour le film de John Carpenter, The Thing, a été unanimement salué : sa créature cauchemardesque était ainsi d’autant plus effrayante qu’elle venait se mêler au corps de ses victimes.
Photo choquante dans 1, 2, 3 …

Dans La Mouche de Crononberg, le corps de de Jeff Goldblum se transforme, mute, le rapport à son corps lui échappe tandis qu’il fusionne avec l’insecte. La Mouche sera d’ailleurs récompensé par un oscar en 1987 pour ses maquillages.
Quant à la créature d’Alien, le xénomorphe, il est déjà monstrueux avec ce crane aérodynamique, cette gueule pleine de dents et son aspect hybride entre l’organique et la machine (Alien a lui aussi gagné un Oscar pour ses effets spéciaux, le designer de la créature, H.G. Giger, est ainsi le fondateur de la biomécanique), mais ce qui est le plus effrayant c’est le sort qu’il réserve aux corps de ses victimes. Tantôt entremet, tantôt incubateur, le corps humain subit une violence inouïe dans cette saga. Ce qu’on craint des extraterrestres, c’est une invasion planétaire mais dans Alien c’est le corps humain lui-même qui est envahi !

De plus, la science-fiction, comme son nom l’indique, est la rencontre de la science et de la fiction. L’un de ses buts est donc de venir interroger nos propres certitudes, nos croyances et la manière dont on considère notre corps (et plus généralement notre société) face un contexte de technologie galopante. Ainsi, le transhumanisme ( un courant de pensée dont l’idée est d’optimiser et de perfectionner le corps humain et la psyché via la technologie) se fait de plus en plus une place dans les thèmes abordés au cinéma (et de manière encore plus ancienne en littérature) car notre rapport au corps, sa considération dans ce milieu à tendance virtuelle nous questionne de plus en plus. Pour une très bonne réflexion à ce propos, vous avez le manga et maintenant le film Ghost in the Shell par exemple. Toutes ces considérations promettent encore de belles œuvres cinématographiques et des design magnifiques.
Le fantastique
Le fantastique implique un traitement différent du visuel. Contrairement à la science-fiction, le fantastique n’extrapole pas à partir de la science, l’imaginaire est donc parfois plus libre. Je dis parfois, car certaines créatures doivent respecter quelques codes du fait de leur appartenance à un folklore et à un imaginaire collectif : les loups-garous, les fantômes ou les vampires etc…
Néanmoins, les codes sont parfois faits pour être dynamités. Le vampire, alors figure majeure du fantastique, maintes et maintes fois montré à l’écran sans beaucoup de nouveautés, subit un lifting rafraîchissant (quoique dégueulasse) dans la série The Strain créée par Chuck Hogan et Guillermo del Toro. Le design des vampires nouvelle génération de The Strain a nécessité 18 mois de réflexion et pas moins de 500 000 dollars pour leur conception. Cette série horrifique, que j’aime beaucoup, nous propose alors des vampires chez qui la traditionnelle morsure est remplacée par une contamination parasitaire via un dard/tentacule caché dans la gorge des monstres. Oui c’est beurk, mais ça rend vachement bien. Ces créatures nommées « Strigoï », jouent sur l’histoire du vampire tout en la modernisant visuellement et historiquement ! Dans la même démarche de revisite des mythes vous pouvez lire la très bonne trilogie Le Passage de Justin Cronin !
Mi dégueu – mi trop cool
The Strain, 2014
Dans le cas des films horrifiques fantastiques, outre le design de nos chers monstres, un paramètre important se trouve du côté de leurs origines : les créatures surnaturelles sont généralement le résultat de croyances anciennes et/ou la création de certains artistes précurseurs comme ce fut le cas avec les œuvres littéraires fantastiques anglaises du 18e et 19e siècle (cf article 1). Alors, un bon moyen pour rendre crédible ces créatures, c’est de les introduire dans leur contexte d’origine, qui est antérieur à notre époque la plupart du temps. Ainsi, le travail des costumes et des décors vient compléter le design des créatures pour une immersion encore plus profonde en terre surnaturelle.

La série horrifique Penny Dreadful, que je vous conseille fortement, prend ce parti pris de situer son intrigue fantastique au sein de l’Angleterre victorienne, époque qui est le berceau de nombreux mythes littéraires. Le fantastique vient sublimer cette intrigue rudement bien ficelée où des « monstres » vont faire la chasse à d’autres monstres. Vous y retrouverez des sorcières, des loups-garous, le Docteur Jekyll, Dorian Grey etc… Les costumes sont somptueux tout comme l’ambiance et les décors. La patte graphique de la série lui confère une ambiance délicieusement surnaturelle, entre gothique, raffinement et barbarie. Une pépite qui doit être vue ne serait-ce que pour le jeu d’Eva Green, interprète du personnage central, dont l’implication dans son rôle crève l’écran de manière viscérale.
Cependant, rester dans le passé n’est pas le seul moyen de traduire une ambiance surnaturelle. En effet, nous pouvons toujours incorporer ces monstres et ces mythes dans notre époque. Cependant, pour ce faire, il faut là aussi travailler sur les costumes et les décors, surtout, si la créature en elle-même ne subit pas de revisite. La beauté du visuel va alors beaucoup dépendre de l’atmosphère et de la direction artistique (en plus du scénario, on est bien d’accord).

Dans ce cas de figure, nous pouvons citer la série American Horror Story, et notamment sa saison 3, Coven, qui se centre sur la figure de la sorcière. Cette série est encensée pour sa justesse visuelle et ses designs très travaillés. La troisième saison n’échappe pas à la règle et nous place face à des sorcières qui, bien que modernes sur de nombreux aspects, sont influencées par le poids de leur histoire séculaire.
Les costumes notamment sont sublimes et jouent beaucoup avec le mythe traditionnel de la sorcière : parées de noir, de dentelle et de chapeaux pointus, entre tradition et modernité, nos héroïnes se disputent la place de sorcière « suprême », celle qui, du fait de sa puissance deviendra la matriarche de la génération en cours. Face à ces sorcières modernes, une autre femme va imposer son pouvoir, forte de son importance et de son enracinement dans le folklore de la Nouvelle Orléans où se déroule l’histoire: une sorcière vaudou. Tout est mis en oeuvre pour se plonger dans l’intrigue alors n’en perdez pas une miette ! American Horror Story est une valeur sûre dans le genre de la série horrifique, incroyablement visuelle et cruelle, elle vous fera passer de sacrés moments devant votre écran !

Enfin, dans le contexte fantastique, on peut également assisté à un joyeux mélange de ces diverses tendances comme c’est le cas d’American Gods, ovni sériel, qui a débarqué sur nos écrans cette année. Son réalisateur Bryan Fuller, adapte ici le roman éponyme de Neil Gaiman. Cette série se caractérise par un traitement de l’image et des thématiques très abouti empruntant à de multiples références du cinéma. Fuller, à qui l’on doit la série Hannibal, réinjecte sa patte graphique (sanglante) très particulière dans cette nouvelle fresque aux accents divins. Il joue sur la représentation des divinités et leur incorporation au monde moderne avec une incroyable virtuosité. Un bijoux scénaristique et visuel riche en ralentis, en couleurs saturées, en lumières travaillées et en violence sublimée.

L’atmosphère : obscurité, couleur et lumière
Ombre et lumière
Comme nous l’avons vu dans le premier article, le temps de la nuit est le temps de référence du cinéma d’horreur. L’obscurité fait peur car elle nous prive de repères, ce qui convoque notre imaginaire, pour le meilleur et pour le pire. Afin de sublimer ce temps de la nuit, le travail de la lumière est particulièrement important au sein du cinéma d’horreur et fantastique.
Personnellement, j’adore le travail de la lumière. Pour preuve, beaucoup de mes scènes favorites sont des scènes où des personnages dansent en boîte nuit. Si j’aime ces scènes, ce n’est pas pour leur contexte (je ne suis pas très fêtarde), c’est pour la manière dont la lumière est travaillée dans l’atmosphère obscure d’un club. Souvent saccadée et colorée, la lumière de ces scènes m’hypnotise.

La lumière en lien avec l’obscurité. Une relation étroite qui commence au cinéma avec le genre gothique et l’expressionnisme allemand. Fondamental dans le cinéma de l’horreur, le style gothique impose une atmosphère axée sur une grande obscurité et des déclinaisons de noir. Le lugubre s’immisce alors jusqu’à en devenir étouffant. Le travail de la lumière au sein du gothique se fera beaucoup sur les jeux d’ombres dans une certaine bi-chromie de l’époque, la couleur arrivant plus tard.

Le genre ayant influencé le cinéma dans son ensemble, le gothique s’invite dans de nombreuses œuvres horrifiques contemporaines autant à travers le travail de la lumière que celui des décors et des costumes. Les maisons hantées, les imposants manoirs, les cimetières déserts : le gothique possède un imaginaire visuel qui a su traverser les époques et marquer les arts littéraires et cinématographiques.

Après le gothique et au-delà de la tradition picturale du clair-obscur (dont Georges de La Tour est probablement l’un des plus célèbres contributeurs), le traitement de l’obscurité au cinéma subira un tournant et une évolution édifiante avec l’arrivée du Giallo.

Le Giallo
Giallo, au départ, c’est le nom donné à une collection de polars éditée en Italie, dont la couverture était jaune. En effet giallo signifie tout simplement… jaune.
Plus tard, le giallo sera l’appellation d’un genre cinématographique aux codes bien précis, toujours centré sur le polar et le suspense comme l’était la collection littéraire . Le giallo, dont les prémices datent des années 30, sera à son apogée dans les années 60 avec des réalisateurs phares comme Mario Bava et surtout Dario Argento. Après de multiples évolutions, le giallo, en tant que tel, s’avérera être un genre qui mêle le polar à la sensualité. Ainsi, il y a toujours des femmes dans le giallo, des femmes avec une féminité exacerbée (le giallo était souvent destiné à un public de type masculin) qui finissent souvent comme étant les victimes de l’autre thématique phare du genre: le meurtre.
Les meurtres étant toujours commis avec une arme blanche sur des femmes (très sensuelles qui plus est), il n’y a qu’un pas, selon moi, pour y voir la métaphore phallique que représentent les couteaux, surtout pour une oeuvre pensée pour des hommes.
En plus de ces thèmes récurrents, le giallo amorce une façon différente de filmer le meurtre et la peur : gros plans, sublimation de la violence et du sang, jeux de lumières, ambiance sombre, ainsi qu’une importance notable accordée à la bande originale. Initialement un genre très policier, le giallo rencontrera l’horreur et le fantastique avec le film Les Frissons de l’angoisse de Dario Argento en 1977. Néanmoins, c’est véritablement Suspiria du même réalisateur qui sera le meilleur étendard horrifique du giallo.

Dans ce film à l’esthétique très poussée, de nombreux codes du giallo sont repris avec notamment un travail très soignée de la mise en scène : beaucoup de jeux de lumières et l’utilisation, sous toutes ses déclinaisons, de la couleur phare du giallo, le rouge.

De la même manière que le cinéma expressionniste allemand se sert de tous les aspects de la mise en scène pour représenter des émotions et des atmosphères, le giallo se sert de sa charte graphique pour exprimer l’effroi et le surnaturel. Bien que tombé ensuite en désuétude car supplanté au box office par les slashers américains, le giallo continue d’inspirer les réalisateurs avec des allusions plus ou moins franches et marquées à travers des réalisations plus récentes. À mon sens, le meilleur film récent qui s’inspire du giallo c’est le magnifique The Neon Demon de Nicolas Winding Refn (Drive, Only God Forgives). Ce film est l’un de mes préférés (probablement dans mon top 5) pour sa beauté visuelle et son sens de la mise en scène, le tout mis au service du thème de la beauté elle-même. Beaucoup de rouge, de clair obscur, de lumières néon, de couleurs saturées, du fantastique, du meurtre, des héroïnes féminines charismatiques et dangereuses comme dans Suspiria, une bande son de dingue, ce chef-d’oeuvre horrifique est à regarder absolument !

La symbolique des couleurs : le rouge et le noir
Les couleurs sont primordiales au cinéma comme dans dans tout art visuel. En plus de l’esthétisme, l’utilisation de telle ou telle couleur permet au réalisateur d’exprimer et d’inspirer certaines émotions via la symbolique de certaines teintes.
Le choix des couleurs (comme de la lumière) revêt une grande importance dans le cinéma de genre car ce sont souvent des films d’atmosphère. Dans le cadre du fantastique et notamment de l’horreur, on trouve des couleurs récurrentes car lourdes de sens et de symboles : le noir et le rouge.
Afin de parler de ces deux couleurs, je me suis basée, en plus de mes connaissances et de mon ressenti personnel, sur les travaux de Michel Pastoureau, LE spécialiste des couleurs. Auteur de nombreux ouvrages dédiés aux couleurs, Michel Pastoureau est également un spécialiste du Moyen Âge, des blasons et se passionne pour l’histoire de certains animaux. J’ai donc écouté certaines des ses interventions et lu plusieurs articles où il était interviewé sur ces deux couleurs.
Michel Pastoureau insiste sur le fait que les symboles attribués aux couleurs proviennent de la société elle-même et que, de ce fait, le sens de ces couleurs varient et évoluent en fonction de l’époque et de la société. Les symboliques s’ajoutent les unes aux autres sans s’annuler.
« Il faut laisser aux couleurs leur ambivalence. Dans la symbolique, les extrêmes se touchent. Une couleur peut dire une chose et son contraire. » Michel Pastoureau
Le noir
Le noir est une couleur dont on dit qu’elle n’en est pas une. Mais ça, c’est si l’on s’attache au spectre des couleurs d’où le noir est absent. Lorsque l’on dépasse ce postulat scientifique, le noir est une couleur et ce, de manière indéniable. Le noir c’est la nuit, l’obscurité, d’où son rôle de couleur maîtresse du film d’horreur. Néanmoins, au delà de son lien avec la nuit, le noir possède moult autres symboliques très utiles pour le cinéma horrifique.
On peut commencer par citer la connotation très morbide du noir. Valeur sombre qui a été héritée du christianisme. En effet, la religion chrétienne a fait du noir l’emblème du mal car couleur de la nuit. L’Eglise a littéralement diabolisé le noir mais également d’autres éléments sombres de couleur comme certains animaux par exemple. Ainsi, plus tard en occident, le noir deviendra la couleur du deuil, mais il est intéressant de contaster que ce n’est pas du tout le cas dans d’autres cultures : en Inde par exemple, la couleur du deuil est le blanc. Sur le même paradoxe, le noir dans l’Antiquité était la couleur de la fertilité, soit totalement l’inverse du deuil qui signifie la mort.
Alors que précédemment le noir était fustigé par l’Eglise car associé au malin, il se répand au 14e siècle dans les hautes sphères sociales suite à un élan venant d’Italie, où, après la peste, le port de couleurs était très mal vu. Ainsi réhabilitée, cette couleur se voit récupérée par l’église qui l’adopte finalement pour symboliser sa respectabilité. Ce lien ténu qu’entretient le noir avec la figure de l’église se retrouve souvent exploité au sein du film d’horreur. Outre les fameux exorcistes, quoi de plus effrayant, par exemple, qu’une religieuse qui fait office de démon dans le film Conjuring 2 : Le Cas Enfield ou encore une autre bonne sœur possédée et aguicheuse dans la saison 2 d’American Horror Story : Asylum ?

En outre, le noir, c’est aussi la couleur très prisée par les romantiques et donc la couleur reine du futur mouvement gothique.
« Mais il [le noir] reprend du poil de la bête avec le romantisme, qui remet en valeur le macabre, les enfers, le mystérieux, la mélancolie. » Michel Pastoureau

De nos jours, le noir est lourd de toutes ces connotations. Il est à la fois morbide et austère comme il peut être luxueux et élégant. Une bien belle couleur pour les atmosphères terrifiantes où les réalisateurs jouent avec son lourd passé symbolique. Toutefois, le noir n’est pas seul à l’affiche de l’horreur. On peut lui attribuer une vraie partenaire du crime dans ce cinéma de genre, j’ai nommé le rouge !
Le rouge

Ah le rouge ! Autre couleur phare du film d’horreur, elle est également chère à mon cœur car c’est ma couleur favorite. Enfant j’aimais bien le bleu mais je disais ça surtout parce que je n’avais pas réfléchi à la question et que c’était une réponse bateau. En vérité, je ne trouve pas de couleur plus parfaite que le rouge. Je l’aime dans toutes ses nuances, toutes ses déclinaisons. Cette couleur se retrouve dans certains pans de ma vie : ma fleur préférée est par exemple une fleur rouge, le coquelicot.
Le rouge est la première couleur maîtrisée par l’homme. De ce fait, sa symbolique est la plus chargée et la plus ancienne. Michel Pastoureau aime faire remarquer que le rouge est tellement ancien que dans plusieurs langues, le mot « rouge » signifie également d’autres choses : rouge peut parfois dire coloré ou encore dans les langues slaves le mot rouge peut être l’équivalent de « beau ».

La toute première symbolique du rouge c’est le pouvoir. Le rouge était en effet très présent dans le quotidien de l’antiquité grecque et romaine. Les sénateurs portaient du rouge et seul l’empereur pouvait avoir le privilège d’être entièrement vêtu de pourpre. De nos jours, le rouge est présent par petites touches mais il persiste à être associé au pouvoir et à tout ce qui a trait au cérémoniel : le tapis rouge, les magistrats en rouge (avant de porter l’habit noir, les juges ont longtemps porté du rouge), même au niveau religieux on peut parler des cardinaux en rouge et citer le fait que le pape au Moyen Âge était en rouge !
Pastoureau indique également que dans l’Antiquité, le rouge était associé à deux autres couleurs du fait de leur égale importance dans la vie de cette époque : le noir et le blanc. Cette « triade de couleurs » est par exemple fortement représentée dans un matériau qui peuple l’inconscient collectif de l’occident : les contes et les fables !

→ Le Petit Chaperon rouge a été rendu célèbre par Charles Perrault en 1697 mais une première version date de l’an 1000 et s’intitulait alors « La Petite Robe Rouge ». Dans ce conte une petite fille vêtue de rouge apporte une motte de beurre blanche à un loup noir.
→ Blanche Neige : Une jeune femme blanche comme la neige se voit offrir une pomme rouge empoissonnée par sa marâtre vêtue de noir.
→ Le Corbeau et le Renard : Un oiseau noir tient en son bec un fromage blanc qui finira attrapé par un animal rouge, le renard.
Pour ce qui est du Chaperon Rouge, au delà de son existence ancienne, plusieurs hypothèses sont avancées pour expliquer la couleur rouge de sa cape. Parmi elles, je vous citerais deux de mes raisons préférées :
- dans les campagnes on habillait souvent les enfants de rouge afin de mieux les repérer et surveiller pendant les activités des adultes.
- Pendant très longtemps, et ce aussi dans les campagnes, un beau vêtement féminin était souvent un vêtement rouge. De plus, les mariées portaient traditionnellement du rouge jusqu’au 19e siècle.

Néanmoins, un autre aspect du rouge en plus de son lien au pouvoir, c’est son côté subversif. Cette connotation est directement héritée du christianisme au Moyen Âge. La religion chrétienne attribue de véritables valeurs au rouge selon quatre pôles différents et installe ainsi cette fameuse ambivalence du rouge qui suivra cette teinte jusqu’à maintenant :
- le sang : associé au sang du christ, le rouge est bon mais associé au crime et à la violence, le rouge est considéré comme mauvais.
- le feu : associé au feu de la pentecôte, le rouge est positif mais quand on parle des flammes de l’enfer, le rouge est synonyme du malin et du pêché.

Il y a donc un « bon » rouge et un « mauvais » rouge. Dans cette même idée, le rouge comme symbole de l’amour possède aussi une ambivalence très marquée : on a l’amour divin, l’amour du couple mais également l’amour charnel, la luxure voire la prostitution. Et oui la religion ne rigole pas avec la luxure. Ainsi par exemple , à la fin du Moyen Âge dans certaines villes d’Italie, les prostituées devaient obligatoirement arborer une pièce de vêtement rouge pour ne pas être confondues avec les autres femmes. Encore aujourd’hui, le rouge c’est la couleur de l’amour, la couleur de la passion et de celle du sexe, de l’érotisme : on le voit à travers le quartier rouge d’Amsterdam, le Moulin Rouge à Paris, la tradition d’offrir des roses rouges à l’être aimé, les cœurs rouges qui pullulent à la saint valentin.
Les femmes vont finalement s’approprier cette couleur transgressive, surtout à partir du 20e siècle. Par ce biais, elles affirment leur féminité doucement d’abord au début du siècle puis de manière très affirmée dans les années 50 avec les pin-up. Le rouge devient féminin et ce, de manière redoutable dans l’inconscient car proclamation d’une féminité voyante et mise en scène via une couleur autrefois associée aux femmes dites de « mauvaises vies ». Ongles rouges, lèvres rouges, d’ailleurs on parle bien de « rouge à lèvre » ! De tout temps, les femmes ont coloré leurs lèvres de rouge (et parfois les hommes), mais pendant longtemps le maquillage fut très mal vu par l’église et a souffert d’une réputation sulfureuse. Se réapproprier une telle pratique fait figure d’émancipation, d’affirmation de soi et de sa sensualité.

Le rouge s’associe également au féminin via un tabou vieux comme le monde (et c’est bien dommage) : celui des règles. Ce sang, tabou, gêne car il est le signe de la puberté, le signe de la fin de l’innocence chez les jeunes filles, qui, c’est bien connu, se doivent être d’innocentes créatures virginales (bordel que la religion m’emmerde). Cet événement naturel est diabolisé dans de nombreuses religions qui en ont fait une affaire de femmes un peu honteuse et bien caché du regard des hommes (heureusement ça évolue petit à petit). Toute la violence de ce tabou explose dans Carrie de Brian de Palma. Adaptation du livre de Stephen King, ce film horrifique commence dans le sang et se termine dans le sang : Carrie, jeune fille mal à l’aise en société, se fait humilier par ses camarades lorsque ses règles arrivent par accident dans les douches communes. Carrie ne sait pas ce qui lui arrive car sa mère, religieuse fanatique, estime que si elle est exempt de tous pêchés, elle restera pure et donc n’aura pas ses règles (une bien belle métaphore du déni et du fanatisme). Finalement, victime d’une blague de très mauvais goût au bal de promo, Carrie se retrouve couverte de sang à la vue de tous ce qui va entraîner sa fureur et son déchaînement.

Le sang, pour y revenir, c’est également la violence, le sang versé par le crime. Une telle connotation est idéale pour le film d’horreur. Le sang est utilisé au cinéma pour symboliser l’agressivité et également la mort, de différentes manières, via un impact visuel fort. Pour cerner un peu mieux l’utilisation du sang au cinéma, vous pouvez regarder cette vidéo de la chaîne Blow Up, antenne de Arte sur youtube :
→ Le sang au cinéma – Blow Up Arte
Dans l’excellente série Hannibal, réalisée par Bryan Fuller, le sang est si présent et tellement esthétisé qu’il devient quasiment un personnage à part entière dans la série. On peut observer une démarche esthétique similaire dans le célèbre film 300 de Zack Snyder où le sang joue également un rôle prépondérant.

À la fin du Moyen Âge, le rouge se voit associé à quatre des sept pêchés capitaux ce qui préfigure sa déchéance dans la société. Par la suite, avec la révolution protestante, le rouge devient couleur interdite. Elle est considérée comme « malhonnête » par l’église car trop voyante et donc signe de superficialité, mais surtout elle rappelle le péché originel qui confère au vêtement une signification capitale pour l’église : dans le jardin d’Eden, Adam et Ève sont nus et purs, une fois éjectés de ce jardin car ils ont pêché, ils doivent se vêtir. Ce désamour du rouge influencera également les artistes protestants, d’où une absence significative du rouge dans la peinture protestante.
Cette interdiction me rappelle un film de Shyamalan, Le Village, qui porte sur une petite communauté installée au bord d’un bois très mystérieux. Au sein de cette communauté, il est interdit d’arborer du rouge ou de cultiver quoique soit de rouge car cette couleur attire des entités démoniaques cachées dans les bois.

Encore aujourd’hui, le rouge est utilisé pour interdire, prévenir du danger, notamment sur les routes par exemple avec les panneaux de signalisation ou les feux tricolores. On peut voir un clin d’œil de cette tradition du danger avec le film Ça datant de 1990, dont le remake sort ce mois ci. Dans ce film d’horreur, lui aussi adapté d’un roman de Stephen King, le danger s’annonce via le ballon rouge dont le monstre se sert pour attirer l’enfant dans ses filets : le rouge est ainsi séducteur mais aussi annonciateur du danger.

Le dernier coup d’éclat du rouge sera son aspect révolutionnaire en tant que métaphore de la rébellion : cette nouvelle connotation est issue du tragique événement du 17 juillet 1791 sur le Champs-de-Mars. À cette époque, on déployait souvent un drapeau rouge pour prévenir la population qu’il y avait un danger à cause de son grand nombre à un même endroit et ce, dans le but qu’elle se disperse pour la sécurité de tous. Or, ce triste jour de juillet, le drapeau rouge est sorti mais avant même que tous les manifestants ne se soit éloignés, la garde charge et fait plusieurs morts. Après ce tragique jour, le rouge sera récupéré au cours du 19e et du 20e siècle par des courants politiques à tendance révolutionnaire comme par exemple le parti communiste de manière marquée ou encore de manière plus subtile (ou non) par les partis de gauche en général, le bleu étant souvent associé à la droite en politique française.
Au fil des décennies, puis des siècles, le rouge va perdre sa place de couleur dominante au profit du bleu qui est actuellement la couleur préférée de l’occident. Cependant, le rouge reste présent, et continue de passionner les arts visuels grâce à son histoire riche en symboles forts et paradoxes intéressants. Tantôt subversif, brûlant, séducteur ou terrifiant, le rouge tient bien son rôle d’autre couleur reine du film d’horreur (et pour toujours de couleur reine dans mon cœur).
Conclusion
Le film d’horreur est une source de créativité infinie. Il cristallise nos peurs et les met en scène pour mieux nous étourdir. L’exploration de l’esthétique des films d’horreur nous apprend de nombreuses choses sur nous même, notre vision de l’humain ainsi que sur les fonctions de l’imaginaire.
Ainsi s’achève ce triptyque sur le film horreur. J’espère que ce voyage horrifique vous aura plu et que j’ai réussi à vous intéresser à ce genre cinématographique si ce n’était pas déjà le cas.
À très vite dans de nouveaux articles !
Sources / Pour aller plus loin :
→ Cineseries mag – Une histoire du cinéma italien : la découverte du Giallo
→ Madmoizelle – Histoire du rouge à lèvres
→ La conférence à écouter pour avoir un bon résumé du livre de Michel Pastoureau sur le rouge : Conférence Michel Pastoureau – Médiathèques de la Baie
→ Intervention de Michel Pastoureau à La Grande Librairie : Rouge, Michel Pastoureau – La Grande Librairie
→ Interview France Inter – Michel Pastoureau « Rouge – Histoire d’une couleur »
→ France info – Culturebox – Michel Pastoureau « Rouge – Histoire d’une couleur »
→ « Rouge – Histoire d’une couleur » par Michel Pastoureau, éditions du Seuil
→ Le point – Michel Pastoureau, le noir tout un symbole
→Le Noir, histoire d’une couleur – Michel Pastoureau éditions du seuil.
→ Les images viennent d’Allocine en général et les gifs de Giphy
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