Dans cet article point de fantastique, de créatures étranges ou de sorcellerie mais un témoignage de vie. Jean-Louis Tripp est connu dans le monde de la bande-dessinée pour être notamment l’un des co-auteurs de la fameuse série Magasin Général (mais sa bibliographie est bien plus vaste). Dans sa dernière oeuvre publiée chez Casterman en ce septembre 2017, Extases – Où l’auteur découvre que le sexe des filles n’a pas une forme de X…, Jean-Louis Tripp livre un récit autobiographique autour de la sexualité.

À travers ses planches, l’auteur aborde le sexe et le désir depuis ses origines. Il parle de ses premiers émois amoureux, son questionnement autour du sexe (ce sujet auréolé de mystères surtout quand on est jeune) et de sa découverte progressive de la sexualité entre amour et expériences transgressives.
Pourquoi c’est bien ?
Une mise à nu
Si ce livre est une réussite c’est pour sa franchise. L’auteur se livre totalement sur un sujet très intime. En nous livrant un portrait aussi personnel, c’est nous, lecteurs, que l’auteur vient troubler. Qui ne s’est jamais posé de questions autour de l’amour ou du sexe ? TOUT le monde ! Suivre les pérégrinations charnelles de Jean-Louis Tripp c’est donc réfléchir également à sa propre sexualité et renouer avec des émotions qui ont pu nous être familières.
Ce témoignage est ici raconté en dessin, avec le trait si reconnaissable de Tripp. Les corps sont dessinés sans pudeur, d’où le caractère érotique de la bande dessinée (donc à ne pas mettre entre de jeunes mains). L’auteur est ainsi franc, et dans ses textes, et dans ses dessins, où sa réalité est montrée sans fard. Toutefois, cela n’empêche pas la présence de quelques planches beaucoup plus émotionnelles que figuratives où Jean-Louis Tripp tente de décrire par le dessin, le chaos des sentiments.

Durant ma lecture, le livre m’a fait pensé à un autre témoignage tout aussi riche autour de l’exploration corporelle : Journal d’un corps de Daniel Pennac. J’ai découvert ce titre de Pennac grâce à l’une de mes meilleures amies, Anaïs, dont Pennac est l’un des auteurs favoris. Le titre parle de lui-même, dans son ouvrage, Pennac tient un journal de son corps où il couche sur papier des fragments de vie bien spécifiques : les changements physiques et autres manifestations corporelles marquantes qui lui arrivent . Ce livre, absolument passionnant, est magnifiquement servi par la plume de Pennac et je vous encourage à le lire comme Anaïs m’a poussé à le faire !

Daniel Pennac résume ainsi son ouvrage comme suit :
» […] c’est plutôt la chronique des messages envoyés notre vie durant par notre corps à notre esprit, avec ces longues plages de silence où notre corps nous parle peu, par exemple pendant la force de l’âge. C’est aussi la chronique des apprentissages, des douleurs, des plaisirs et des jouissances. »
Ainsi la bande dessinée de Jean-Louis Tripp rejoint tout à fait ce postulat à la différence qu’il se centre sur le sujet de la sexualité.
De vraies réflexions et une remise en question
Étant donné que l’on suit l’évolution du personnage, on suit également ses changements d’opinions et ses remises en question. On passe d’un garçon à un adolescent puis à un jeune homme et à un homme plus mûr : avec toutes ces années écoulées, l’auteur a eu le temps de connaître de grands moments de questionnements et de doutes quand à sa sexualité. Il évoque alors dans ce portrait, son rapport au désir, à l’amour, à la jalousie ou encore la tromperie.
Un souffle féministe
Cette bande dessinée relate un parcours masculin. Néanmoins, ce personnage ayant principalement des rapports hétérosexuels, la bande dessinée dresse un pont avec la sexualité féminine et notamment la vision qu’en ont les hommes tout comme la découverte pour le personnage de plusieurs vérités à ce sujet qui viennent bousculer ses idées et ses à priori.
Au tout début, des réflexions ou des propos tenus par le personnage principal (ou par les autres) m’ont interpellé voire choqué, mais on se rend bien compte au fil du livre qu’il y a une déconstruction des clichés liés aux femmes via un apprentissage constant et des remises en questions de la part de Jean-Louis Tripp. Les propos tenus quand il était jeune s’expliquent par un manque de connaissance, des idées toutes faites (ou alors pas faites du tout) et un effet miroir par rapport à ce que ses copains disaient ou ce qu’il entendait autour de lui.
Par rapport à ce thème, on a par exemple dans le livre, une conversation autour de la prostitution entre le personnage principal et une féministe. Ce passage très fort vient déconstruire les fantasmes autour de la prostitution et mettre en exergue la douloureuse vérité autour de cette exploitation du corps humain. [Je viens quasiment deux ans après pour réagir à ce passage de mon article. Même si je trouve toujours qu’on ne doit pas avoir une vision glamourisée de la prostitution, il ne faut pas non plus diaboliser le travail du sexe qui recouvre de nombreuses réalités sociales et n’est pas toujours synonyme d’exploitation. Les travailleurs et travailleuses du sexe méritent le respect et surtout qu’on les écoutent puisque c’est leur parole qui expriment au mieux ce dont ils et elles ont besoin. À savoir : un bon encadrement législatif, une reconnaissance de leur profession et une fin de la stigmatisation.]
Conclusion
Jean-Louis Tripp m’a touché en plein cœur avec ce témoignage poignant et si réaliste. Il n’est pas nécessaire de se retrouver absolument dans toutes les expériences sexuelles de l’auteur pour s’attacher à son histoire tant l’effort de sincérité et de questionnement est présent et abouti. Cette bande-dessinée est une merveille qui parlera à beaucoup !
Après avoir dévoré ce tome 1, j’attends impatiemment le tome 2 !
Sources / Pour aller plus loin :
→ Casterman – « Extases », Jean-Louis Tripp
→ Gallimard – Entretien « Journal d’un corps », Daniel Pennac
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