extrait de Ceux qui restent, Busquet et Xöul, Delcourt

BD : Ceux qui restent

Est-ce que l’on se demande parfois ce qui se trame à côté des contes ? Est-ce que l’on pense à ceux que la magie ignore ? Est-ce que l’on pense à ceux qui restent ?

Ceux qui restent Busquet Xöul Delcourt

Cette nouvelle bande dessinée écrite par Josep Busquet et illustrée par Alex Xöul, vient de sortir chez les éditions Delcourt. Elle nous propose un pitch assez original dans le domaine du fantastique et du merveilleux et c’est ce qui m’a attiré. En effet au lieu de suivre le protagoniste habituel dans ses aventures magiques, on s’attarde sur le quotidien des proches qui sont perdus face à ce qui se passe.

De quoi ça cause Ceux qui restent ?

extrait de Ceux qui restent, Busquet et Xöul, Delcourt
extrait de Ceux qui restent, Busquet et Xöul, Delcourt

Ben et ses parents mènent une vie familiale heureuse et sans nuages. Mais un soir, Ben disparaît : il a été emportée par une créature venant d’un autre monde pour qu’il aide son peuple en danger. Or cela, les parents de Ben ne le savent pas et n’ont aucune piste, ni pour comprendre, ni pour le retrouver. Un beau jour, Ben réapparaît. Il explique ce qu’il a vécu à ses parents, qui évidement ne le croient pas. Puis Ben disparaît à nouveau avec la créature. Du côté de ses parents c’est l’incompréhension totale et une nouvelle avalanche d’angoisse. D’autant plus qu’avec cette deuxième disparition ils deviennent des suspects, à la fois aux yeux de la police et aux yeux de la société et de leurs proches. Mais une mystérieuse association de parents se rapprochent d’eux. Elle semble être la seule à comprendre et à pouvoir les aider.

Pourquoi c’est chouette Ceux qui restent ?

Une histoire merveilleuse

 Cette histoire est à la fois fantastique, car elle propose une incursion de la magie dans le réel mais à la fois tient du merveilleux car le postulat qui est proposé rappellent énormément les contes pour enfants. Il s’avère que Ben n’est pas le seul dans son cas, d’autres enfants à travers le monde, sont enlevés régulièrement au cours de leur vie pour participer à des quêtes dans d’autres mondes, planètes, dimensions ou réalités. Les auteurs, sans les nommer explicitement, font référence à des histoires connues comme Peter Pan  avec le schéma de l’enfant kidnappé pendant la nuit ou plus modernes, celle d’Arthur et les Minimoys avec l’évocation d’un peuple minuscule auquel on peut accéder en étant rapetissé via un rayon. En faisant appel à ces connaissances communes qui font partie de l’inconscient collectif, les auteurs installent une atmosphère finalement plus merveilleuse que fantastique et nous poussent à nous rattacher à des sensations lointaines propres à l’enfance.

Derrière le conte

Là où l’histoire est originale c’est qu’elle s’attarde en immense majorité sur le quotidien de ceux qui restent, c’est-à-dire les parents des enfants qui disparaissent. Alors qu’en général on suit les aventures fantastiques de ces enfants élus, là on prend le point de vue opposé : l’exploration d’une réalité dénuée de magie où les rares incursions de cette dernière occasionne des drames et des tragédies, des vies bouleversées et des parents meurtris.

Cela me fait  penser au personnage de Rumplestiltskin dans la série Once Upon a Time qui dit toujours que la magie a un prix.

Dans Ceux qui restent, c’est la même chose. Pour une poignée de privilégié(e)s qui connaîtront  des expériences hors du commun, une majorité de personnes va souffrir. Les disparu(e)s ont également du mal à comprendre la détresse de leurs proches. Et ceci pour deux raisons. Premièrement, le plus souvent, le temps ne s’écoulent pas de la même manière dans les autres mondes que sur la terre, avec plus ou moins de différences. Cette circonstance conduit à un décalage entre la vie terrestre et la vie magique : les enfants se retrouvent bien plus décalés que ce qu’ils croyaient en rentrant et les parents vieillissent encore plus vite que la normale pour eux. Dans certains cas, alors que l’enfant pensera être resté quelques semaines, en fait, plusieurs années se seront écoulées dans la réalité. Deuxièmement, les enfants sont tellement subjugués par leurs aventures qu’ils ont du mal à se reconnecter au réel. La vie quotidienne devient progressivement fade à leurs yeux et creuse un fossé entre eux et leurs proches.

En outre, en plus des tragédies émotionnelles, ceux qui restent doivent gérer les problèmes pragmatiques. Ils ne disposent pas d’aide magique pour expliquer les raisons des disparitions. La méfiance les entoure et les dépouille de leur entourage. Ils deviennent la cible des commérages et des suspicions. Leur histoire dramatique, dont certains egos en quête de reconnaissance se repaissent, fait également la une des journaux. Seule la fameuse association leur tendra la main.

Ceux qui restent est une bande dessinée bouleversante qui mérite vraiment une lecture pour son originalité et sa justesse.

Le désenchantement dans Ceux qui restent (attention Spoiler Alerte)

Bon là je vais devoir en dire encore plus sur la fin de la bande dessinée mais cela me semble nécessaire pour mieux comprendre, à mon sens ce qui représente le propos de la bande dessinée : le désenchantement.

Le personnage de Ben devient plus important dans le tout dernier segment de l’histoire car on se fixe sur lui. Dans cette partie, il revient d’une de ses quêtes avec la créature, il a grandi et a déjà hâte de repartir. Or, son ami magique lui explique que, puisqu’il a grandit, sa magie d’enfant disparaît progressivement et que donc, il ne pourra plus les aider comme auparavant.  Attristé, Ben lui fait promettre de revenir le chercher pour leur rendre visite, ce à quoi son ami répond par l’affirmative. Malheureusement, il ne reviendra jamais et laissera Ben dans son désarroi. D’autant plus que ce dernier découvre en rentrant que ses parents sont morts et que la vie a continué sans lui. Déboussolé, il ne parvient pas à relever la pente et reste figé dans l’attente du retour de son ami. On comprend alors qu’il sombre dans l’alcool et la pauvreté, sans jamais abandonner ses attentes.

Ce qui arrive à Ben est tragique mais son destin revêt plusieurs significations très intéressantes à analyser. Tout d’abord, on se rend compte que la magie, au final, n’abîme pas seulement les proches des enfants, mais bien les enfants eux-mêmes. Ils sont utilisés puis abandonnés comme de la matière première périmée. Les créatures se servent de leur magie d’enfant tant que celle ci existe mais elles les délaissent, une fois adultes, et les condamnent au désœuvrement, au désenchantement. En effet, comment revenir à une existence banale quand on a connu l’incroyable ?

Le sort de Ben est pour moi une métaphore de la vie d’adulte. La magie est d’ailleurs souvent associée à l’enfance. On confère à cette période de la vie, un pouvoir  énorme : celui de l’imagination et de la liberté. Des exemples de cette dichotomie entre enfance et âge adulte sont légions dans les œuvres de fiction : Peter Pan bien sûr, mais aussi la série Autre-Monde de Maxime Chattam par exemple, où les adultes sont soit des créatures horribles et stupides, soit des êtres corrompus et vils appelés les Cyniks.

L’âge adulte est synonyme de contrainte, de responsabilités. On a moins de temps pour rêver et imaginer. On se rend compte à cet âge-là que le monde a finalement peu de sens et que parfois il brise et broie ses occupants. Comment peut on rêver quand la majorité d’entre nous galère ou sont inquiets pour leur avenir. Alors que la vie devrait être une source de joie et d’accomplissement, un prolongement bienheureux de l’enfance, on est cerné par les drames et les emmerdes. Alors qu’on a été bercé par des histoires merveilleuses, des dessins animés où tout semble possible, on doit mettre au placard nos sentiments pour commencer à vivre « pour de vrai ». Malheureusement, certains n’ont même pas le droit à cette parenthèse enchantée et leur vie, dès son commencement, est compliquée.

Dans cette idée du désenchantement, il est intéressant de noter que malgré leur succès populaire, les littératures de l’imaginaire (Fantasy, Science-Fiction, Fantastique…) sont encore parfois méprisées et très peu représentées dans les instances généralistes comme certains prix littéraires (genre le Goncourt). Stéphane Marsan des éditions Bragelonne, dans un entretien passionnant autour de la place des littératures de l’imaginaire en France, explique ceci :

« Aujourd’hui encore, on estime que l’imaginaire n’est pas un genre sérieux, c’est pour les imbéciles ou pour les enfants. Allez, tant que c’est pour les enfants, ça va, mais après, soyons sérieux, il faut passer à la grande littérature, qui ne saurait être celle de l’imaginaire, mais la littérature du réel. Il a fallu combien de temps avant que Peter Pan ou Alice au pays des merveilles ne soient plus simplement perçus comme des amusements pour enfants dans ce pays ? »

Bien sûr tous les contes et toutes les histoires ne sont pas parfaites. Les messages qui y sont cachés ou amenés ne sont pas toujours pertinents (prince charmant tout ça tout ça par exemple) et il est également nocif de s’enfermer volontairement à double tour dans une quête éperdue d’imaginaire. Néanmoins, ces histoires développent notre capacité à imaginer et à rêver. Or cette compétence, une fois adulte, quand elle n’est pas méprisée, est exploitée à des fins mercantiles : c’est la course à la meilleure idée qui fera de l’argent sans pour autant rendre les gens plus heureux ou la planète en bonne santé. Quelque part, taper sur l’imaginaire c’est nous endormir, c’est endormir l’enfant en nous. C’est nous faire croire que l’on est pas apte à évoluer ou changer, c’est nous faire croire qu’un autre monde n’est pas possible. Arrêter d’imaginer c’est faire le jeu d’une société mourante et sans sève.

La vraie cause du malheur de Ben n’est pas la magie en soit, c’est son absence. Ainsi, Ceux qui restent est je pense, le constat tragique de ce que serait une société orpheline et abandonnée par l’imaginaire. Une société qui est peut-être déjà un peu la nôtre, une société désenchantée.

Sources / Pour aller plus loin :

Ceux qui restent – BDGest

Actualitté – La France a un problème avec l’imaginaire – Stéphane Marsan, éditions Bragelonne, interrogé par Nicolas Gary

Actualitté – Clément Solym : Les littératures de l’imaginaire veulent la reconnaissance du prix Goncourt

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