Une couverture bigarrée et intrigante, deux mots d’un de mes amis libraire, j’embarque Alt-life chez moi. Je ne pensais pas, à ce moment là, que ma lecture allait autant me faire réfléchir et faire écho à mes propres questionnements.
Alt-life est une bande dessinée publiée récemment aux éditions Le Lombard. Le scénario a été réalisé par Thomas Cadène, le dessin par Joseph Falzon et la couleur par Marie Galopin.

Alt-Life est une BD d’anticipation. Elle anticipe une possible future réalité. L’histoire ne nous indique pas précisément l’année où elle se déroule mais ce n’est pas si longtemps après la nôtre étant donné que nos deux héros principaux, assez jeunes, sont nés en 2034 et 2035.
On se concentre sur Josiane et René qui sont les pionniers d’une nouvelle manière de vivre. Ils abandonnent la vie « réelle » pour une vie entièrement virtuelle. Ils sont chacun placés dans une sorte d’œuf à l’intérieur desquels un étrange mécanisme de branchements et de capteurs leur permettra d’agir et de ressentir dans un monde virtuel. Le processus fait penser évidement à Matrix, ce qui est d’ailleurs mentionner clairement dans le livre. Cependant, à la différence de Matrix, dans Alt-life, l’incorporation dans la matrice est volontaire. En plus de leur adaptation à ce nouvel environnement, on suit également à deux ou trois reprises, les conversations de personnes travaillant à la maintenance des œufs. Le livre aborde aussi, à la fin, la venue en masse de nouveaux arrivants dans ce monde particulier, après le premier test qui en a été fait par Josiane et René.
On comprend ainsi grâce aux différents dialogues que les humains vivent déjà avec le virtuel dans le quotidien : il y est fait mention de « nanny box », de « relax box » ou encore de « porn box ». Le monde est tellement à l’agonie que les gens usent de la réalité virtuelle pour s’évader de différentes manières (coucou Ready Player One).
La différence pour Josiane et René c’est que leur plongée dans le virtuel est définitive et qu’ils ne sont limités par aucune contraintes. Il existe quelque règles évidemment comme l’impossibilité de passer outre le consentement pour le sexe par exemple ce qui est fort appréciable pour l’aspect éthique et moral. Néanmoins, leur vie virtuelle n’a pas de limite : les êtres humains, grâce à l’œuf, génèrent leur propre réalité, matérialisent leurs envies, leurs souhaits sans limite d’espace, de temps ou de rationalité. Leurs sens fonctionnent, ils ressentent des choses comme si tout ce qui les entourait était réel mais ils sont néanmoins dispensés d’une certaine réalité corporelle comme le fait de transpirer ou d’aller aux toilettes (mais apparemment c’est un paramètre que l’on peut modifier selon son souhait). Il est d’ailleurs assez drôle de constater que dans un environnement libéré des contraintes du corps, la principale activité des personnages est le sexe, soit une chose très liée au corps !

Tout l’intérêt de la bande dessinée réside dans la manière dont les différents personnages appréhendent ce nouveau mode de vie. Il y a une véritable réflexion autour du principe de réalité, de la vie et de l’humain en général. Les contraintes de la réalité sont-elles nécessaires pour mieux savourer le bonheur ? L’être humain existe t-il toujours si on le déconnecte de son corps ? L’être humain a t-il pour destin de s’extraire de la « nature » ?
Pour ma part, parfois j’aimerais me passer de certaines contraintes et impératifs physiques mais je me demande si éliminer toutes contraintes serait vraiment une évolution dans le bon sens. Je pense ainsi régulièrement à une citation du film Vanilla Sky (un remake de Abre los ojos) qui est la suivante « Sans le vinaigre, le miel n’est pas le miel » : pour apprécier le bon, il faut connaître le moins bon. Il ne peut y avoir d’idée de bonheur que si il existe l’idée de malheur. L’humain n’a pas arrêté d’évolué pour faire diminuer les contraintes, les efforts et à certains égards c’est fichtrement chouette mais jusqu’à quel point faire cela ? A partir de quel moment ce sera trop ? Y aura t-il un trop d’ailleurs ?
La bande dessinée m’a encore fait penser à Vanilla Sky à propos d’un autre thème : celui de la perte de contrôle. Vanilla Sky est un film qui explore le rêve et comment nous pouvons être nos propres bourreaux même dans un monde où nous décidons de tout. Dans Alt-life, cette perte de contrôle est abordée à travers le personnage de Josianne, qui à un moment donné, ne contrôle plus son univers qui part alors totalement en bibrine. On peut alors se demander si les choix infinis, des capacités illimitées ne seraient pas une source potentielle d’angoisse et de frayeur ? Comme si l’humble humain implosait dans un rôle divin trop grand pour lui.

Et puis il y a l’idée de s’extraire de la nature…Dans la bande dessinée, certains personnages abordent ce fait comme une étape logique de l’évolution humaine.
« Nous finirons bien par devenir de purs esprits et ce qui nous reste d’évolution à accomplir, nous le ferons là-dedans. Nous en finirons avec la mort. Nanotech et nature, nous nous coulerons dans le grand tout sans même nous en rendre compte. […] (L’humanité) Telle que nous la connaissons ? Avec nos corps qui souffrent et qui vieillissent ? Oui, tout ça va s’achever dans des oeufs. Mais ce ne sera pas la fin, c’est juste la désincarnation. C’est une étape. »
Ainsi l’expérimentation de la vie virtuelle via les œufs est une étape, un préambule vers un pur abandon de l’idée du corps, de sa matérialité et donc à terme, un pas vers l’immortalité de nos consciences.
Alt-life aborde ainsi quelques thèmes liés au transhumanisme dont la pensée relie étroitement l’évolution de l’humain avec la technologie et la science.
→ « Le transhumanisme est une approche interdisciplinaire qui nous amène à comprendre et à évaluer les avenues qui nous permettrons de surmonter nos limites biologiques par les progrès technologiques. Les transhumanistes cherchent à développer les possibilités techniques afin que les gens vivent plus longtemps et en santé tout en augmentant leurs capacités intellectuelles, physiques et émotionnelles. » Nick Bostrom
La citation est extraite de ce site qui explique les enjeux et les définitions du transhumanisme : iatranshumanisme.com
Le processus évoqué dans Alt-life paraît effectivement pertinent et cohérent étant donné l’évolution technologique galopante qui nous entoure actuellement. Pour autant, on peut réfléchir avec cette bande-dessinée sur son fondement philosophique et ce qu’elle dit de l’humain. Pour ma part, c’est un monde que je ne souhaite pas connaître à l’heure actuelle car il est pour moi synonyme d’échec. Selon moi, à toujours vouloir plus, c’est que nous sommes incapables de vivre et d’appréhender notre présent et notre réalité biologique (de la même manière que nous avons l’air incapables de saisir l’importance de notre planète et des êtres vivants qui y vivent). Si le processus décrit dans Alt-life existe c’est parce que le monde meurt, c’est un monde « de merde » comme le dit l’un des personnages : les humains fuient alors vers un ailleurs.
Cependant, je vis entourée par la technologie et cela me rend bien service, tout comme les progrès médicaux ont permis d’épargner de nombreuses vies. Mon avis est alors peut être hypocrite, pas assez tourné vers l’universel, néanmoins je remercie Alt-life d’avoir secoué mes méninges ! C’est une lecture passionnante, qui pousse à la réflexion. Je vous la recommande vivement !
Et vous, que pensez vous de ces questionnements ?