J’arrive après tout le monde pour parler de Je ne suis pas un homme facile, une comédie produite par Netflix et réalisée par Éléonore Pourriat, qui a fait parler d’elle à sa sortie le 13 avril de cette année. Plus particulièrement, j’ai envie de vous parler d’une scène. Elle m’a tellement scotché par sa pertinence que je me devais de l’aborder dans un article.
Le film est l’application en format film du court-métrage Majorité opprimée de la même réalisatrice.
Le postulat est assez simple, que ce soit pour le court métrage ou le film : on renverse les rôles. Plus précisément on échange les attributs sociaux des deux genres.
Suite à un choc violent à la tête, Damien, macho et gougeât de son état se réveille dans un monde opposé au sien. Un monde où les femmes se trouvent être les dominantes : ce sont elles qui draguent dans la rue, elles qui ont les postes à responsabilité, elles qu’on pousse à la compétitivité et à l’agressivité, elles qui peuvent sortir torse nu sans gêne aucune … Les hommes quant à eux, sont l’objet de toutes les injonctions typiquement féminines : la beauté, l’épilation, la gestion de l’intérieur, s’occuper en majorité des enfants. Ce sont désormais eux qui se font juger dans la rue, ce sont eux qui se font siffler par leur vêtements qu’on jugera vite trop court ou provoquant. Etc…
J’ai apprécié Je ne suis pas un homme facile. Avec un tel sujet, le risque de se planter est grand mais la comédie, à mon sens, résiste et s’avère plutôt intelligente. Éléonore Pourriat a bossé son sujet et l’exploite de bien des manières en multipliant les sujets et les références plus ou moins subtiles comme le panneau Père Lachaise qui devient le panneau Mère Lachaise au réveil de Damien par exemple. Car oui, en France c’est uniquement 6% des rues qui sont nommées selon des noms de femmes.
Interchanger les comportements genrés permet de mettre l’emphase sur le quotidien féminin. En faisant vivre aux hommes ce que vivent les femmes, avec les même justifications foireuses que notre monde, on pose un coup de surligneur magistral sur la violence et l’absurdité du patriarcat.
La réalisatrice confie ainsi à Allociné : « Mon film rend visible le sexisme ordinaire, celui qu’on ne voit pas ou qu’on ne remarque plus, les petites choses dont on s’accommode comme d’un caillou dans la chaussure. Je crois qu’il fait du bien. »
Fait intéressant, dans le monde inversé, les femmes justifient leur supériorité sociale par l’argument de la supériorité physique, comme le font parfois les hommes de notre société. Bizarre non ? Et bien pas du tout car pour ces femmes dominantes la preuve de leur ascendant physique est le fait d’avoir le corps apte à porter et mettre au monde des enfants. J’ai trouvé cet argument génial car au contraire, c’est souvent la maternité qui est utilisé pour parquer les femmes et les réduire à un niveau inférieur, celui de simple génitrice. Un rôle relégué à quelque chose de simplement trivial au contraire de l’intellect masculin qui n’a que faire de telles préoccupations (je schématise). Dans le film, cette capacité physique est brandie comme un étendard de fierté. Et justement venons en à ma scène favorite du film. Une scène qui m’a fait dire qu’Éléonore Pourriat avait vraiment compris certaines nuances de la domination patriarcale.
Dans le film, Lolo, l’épouse du meilleur ami de Damien, est enceinte et elle finit par accoucher alors que ce dernier est toujours coincé dans le monde inversé. L’accouchement nous est montré et a droit à une scène. Et bien figurez vous que dans ce monde à l’opposé du notre, les femmes accouchent DEBOUT et le personnel soignant s’adapte totalement à cette position. Ce détail, apparemment insignifiant, est au contraire capital et très révélateur.
Petit point historique
L’arrivée des hommes dans l’expérience féminine
« L’unique médecin du peuple, pendant mille ans, fut la Sorcière » Jules Michelet
Dans nos sociétés occidentales, l’expérience et la perception de la grossesse et de l’accouchement ont considérablement évolué. D’un événement qui se vivaient quasi exclusivement entre femmes, on est passé à une expérience où les hommes se sont progressivement immiscés et avec eux la technique et la science que l’on opposait à l’empirisme des matrones. La scission s’est opérée avec la mise au pilori des femmes et des sorcières, coupables de tous les maux. La défiance face au sexe féminin était alors totale.
Parmi les accusées de sorcellerie on trouvait principalement des marginales, des vieilles femmes indépendantes (et donc suspectes car comment une femme, âgée de surcroît, pouvait vivre seule, sans l’aide des hommes à moins d’être une sorcière ? ), des femmes soignantes dont des sages-femmes (qui est la version professionnalisée de matrones). L’église dans sa folie persécutrice a écarté ces soignantes empiriques (c’est-à-dire se basant « sur l’observation et l’expérience ») et a privilégié la montée des médecins et de la scolastique (union de la pensée antique et chrétienne).
« Personne ne fait plus de tort à l’Église que les sages-femmes » citation extraite du tristement célèbre Malleus maleficarum, sorte de manuel pour reconnaître et punir les sorcières
Julie Proust Tanguy dans son ouvrage Sorcières ! Le sombre grimoire du féminin explique le jugement biaisé dont ont souffert les soignantes empiriques :
« Méprisées, a posteriori, pour leur sexe, ces thérapeutes [les sorcières] prenaient le relais des hommes quand la science de ceux-ci n’osait se risquer à apprivoiser les mystères du sexe féminin : la future sorcière est donc avant tout une gynécologue et une sage-femme, apte à soulager ses consœurs de maux qui intimideraient les docteurs aux barbes savantes. […] Quoiqu’on lui sache gré de ses talents, il est tout de même gênant qu’une femme puisse posséder un savoir supérieur Celui-ci ne proviendrait-il pas d’une magie ambiguë ? »
Les sages-femmes ont d’abord été écartées des universités de médecine puis elles ont été de plus en plus surveillées. Leur profession a fini par intégré la médecine proprement dite au début du 19eme siècle. Une victoire en demi-teinte puisqu’elles souffrent dès leur institutionnalisation d’un statut subalterne au médecin alors même que leurs compétences et leur champ d’action n’ont cessé de s’accroître depuis lors. Par exemple la loi de 1802 sur l’exercice de la médecine leur interdit l’utilisation des instruments d’obstétrique comme le forceps qui a été inventé par des médecins masculins en 1665.
Il faut également noter que les soignantes qui ont marqué l’Histoire, car il y en a eu, ont vu leurs noms peu mis en avant (comme également beaucoup de femmes scientifiques) et ce, jusqu’à disparaître de la conscience collective au profit des praticiens masculins : c’est ce que l’on appelle « l’effet Matilda ».

On peut ainsi citer la médecin italienne Trotula de Salerne à qui l’on doit parmi les premiers écrits sur la gynécologie et l’obstétrique. Si elle est parvenue à devenir médecin c’est notamment parce qu’elle a étudié à l’université de Salerne alors l’une des très rares à accepter des femmes au Moyen Âge. Malgré sa vive importance scientifique, Trotula de Salerne est l’une des meilleures représentantes de l’effet Matilda car loooongtemps on a pensé que ses écrits…étaient le fait d’un homme.
Ces praticiens qui ont d’ailleurs pris soin d’investir le corps féminin jusqu’à y mettre leurs noms (Fallope, De Graaf, Douglas) : « L’anatomie féminine est ainsi parsemée de noms d’hommes qui ont tenu à signer leur découverte, tels des explorateurs plantant leur drapeau sur des terres vierges inexplorées […] » Élise Thiébaut, Ceci est mon sang.
Il en résulte que même aujourd’hui le statut des sages-femmes est complexe et peu valorisé malgré leur champ de compétences. C’est une profession d’ailleurs toujours subordonnée aux médecins. Ainsi l’histoire médicale moderne a été façonnée par des mains et une vision dite « masculine », ce qui a également impacté l’approche de l’accouchement. J’entends par là qu’ils ont souhaité faire avancer la médecine selon leur manière de voir les choses et c’était rarement en totale adéquation avec la gent féminine, longtemps écartées du savoir. Par la quête de la technique et du progrès exponentiel de la science et de la technologie, les médecins ont amorcé une dynamique de domination absolue de la nature, à l’opposé des soignantes empiriques qui travaillaient avec cette nature. Les deux approches ont des bienfaits et des défauts manifestes : un équilibre serait le bienvenu afin de profiter du progrès sans tomber dans l’excès.
L’hôpital plutôt que le domicile
A l’échelle de l’humanité, accoucher hors de son domicile en Occident (et particulièrement en France) en faveur du milieu hospitalier et extrêmement récent et date uniquement du 20 siècle. Cette migration massive s’est opérée par l’impulsion du gouvernement qui s’est saisi de la grossesse pour le bienfait de la nation fragilisée par les guerres : il fallait repeupler le pays et donc diminuer la mortalité infantile et maternelle.
« Dans les années 1920 aux années 1970, les jeunes mères allaient de plus en plus nombreuses accoucher en clinique, le foyer familial cessa d’être le lieu où les bébés venaient au monde. Mères et enfants étaient désormais entre les mains des médecins, pour ne pas dire à leur merci. Le père et la famille étaient tenus à l’écart, officiellement par peur des microbes. Personne n’osait se plaindre, car les effets positifs étaient indéniables : le recul de la mortalité néonatale et de la mortalité maternelle s’accélérait ; l’obstétrique et la gynécologie progressait à pas de géants ; les soins aux enfants s’amélioraient. » Yvonne Knibiehler, Histoire des mères et de la maternité en occident.
La sur-médicalisation
Malheureusement, un glissement a eu lieu et on en est venu à pathologiser la grossesse et l’accouchement. Un événement totalement normal a été érigé en une quasi maladie qu’il fallait surveiller et contrôler étroitement. L’immersion de la technique et de la science a permis des bienfaits considérables mais a également entraîné des dérives : la mise de côté d’un accompagnement global de l’accouchement qui respecte la physiologie et qui demande donc du temps.
De fait l’afflux de patientes et la diminution du nombre de maternité participe à une gestion quasi industrielle des accouchements. Ce constat explique ainsi le recours massif à la péridurale (et donc au déclenchement).
» Le bilan que nous fîmes avec Catherine fut de constater qu’en France, la péridurale permettait de pallier un manque flagrant de personnel. […] Un des intérêts de la péridurale est d’assurer un nombre d’accouchements croissant sans augmenter le personnel. Ce qui est paradoxal puisque, sous péridurale, les femmes perdent les sensations qui sont autant de repères du bon déroulement de l’accouchement ; sous anesthésie, elles devraient donc avoir plus de surveillance. » Chantal Birman, Au monde, ce qu’accoucher veut dire.
Néanmoins l’arrivée de la péridurale est aussi un bienfait pour les femmes. Tout simplement parce que personne ne réagit pareil face à la douleur et que si une femme souhaite la péridurale elle doit pouvoir l’obtenir. Le soucis c’est plutôt son contexte d’application et la manière dont on l’aborde.
Bon le cinéma exagère souvent hein
» Pour autant, la médicalisation systématique et l’anesthésie péridurale doivent-elles être les vecteurs d’une pensée unique comme c’est le cas dans la majorité des institutions françaises ? Pourquoi toujours médicaliser ce qui est physiologique ? Bien entendu, je reconnais que c’est à la femme de décider si sa douleur est oui ou non insupportable, mais ce jugement n’est-il pas trop souvent biaisé par la mainmise du médical ? » Chantal Birman, Au monde, ce qu’accoucher veut dire.
L’approche très médicale a placé les femmes dans une position de soumission et de dépendance lorsqu’elles accouchent. En France une femme est rarement maîtresse de son accouchement (notamment en cas de péridurale car le bas du corps est plus ou moins insensibilisé selon le dosage) et de plus, tout est pensé pour faciliter le travail du praticien, plus que pour soulager la patiente. Ainsi la position dite gynécologique (allongée sur la table et les pieds dans les étriers) s’appelle ainsi car elle est pratique … pour le gynécologue ! Datant du 17ème siècle, cette position aurait été utilisée parce que le Roi Louis XIV voulait observer l’accouchement de sa maîtresse Louise de la Vallière. Elle n’est pas adaptée physiologiquement à une descente correcte et optimale du bébé et demande à la mère de pousser encore plus.
La position gynécologique peut être adaptée à certains moments durant le travail (=la période entre les premières contractions et l’expulsion) car elle permet d’affronter les contractions sans trop fatiguer les autres muscles mais pour ce qui est de l’expulsion (=le moment où le bébé sort) elle est globalement mauvaise et accroît les pressions sur le périnée ce qui peut entraîner plus de déchirures. Ainsi sont plutôt conseillées des positions verticales qui permettent un axe de descente et de sortie beaucoup plus adéquat (et qui bénéficient de la gravité) : à genoux et sa variante à quatre pattes, debout, accroupie etc…
→ Extraits du document suivant : Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français, Extrait des Mises à jour en Gynécologie et Obstétrique –TOME XXXII publié le 3.12.2008, Analyse objective des différentes positions maternelles pour l’accouchement, C. RACINET, S. BREMENT, C. LUCAS.
« En effet, depuis la plus lointaine antiquité et jusqu’à une période assez récente, la documentation dont on peut disposer [2] démontre que, outre la déambulation, les femmes utilisaient très majoritairement des positions verticales variées (debout, assise, accroupie, à genoux et sa variante à « quatre pattes »…) afin d’accoucher le moins douloureusement possible, et avec le maximum d’efficacité pour éviter la dystocie, évolution redoutée car parfois mortelle pour le fœtus bien entendu, mais également pour la mère. »
« Depuis Mauriceau en 1668 [4], l’obstétrique occidentale a amorcé un tournant remarquable en adoptant sa proposition de faire allonger les parturientes en position semi-assise sur un lit, au moment où se manifestaient les efforts expulsifs essentiellement pour faciliter la surveillance du travail et pour permettre l’exécution de manœuvres, devenues d’autant plus nécessaires que les conditions physiologiques n’étaient plus respectées. Puis les bouleversements sociaux et l’industrialisation ont favorisé le triomphe de la médecine. En exagérant à peine, la grossesse a été considérée comme une maladie et l’accouchement comme une crise médicale : 3 siècles de progrès médical ont imposé lentement mais sûrement le décubitus dorsal, représentant la position la plus sécurisante, mais sans aucune preuve scientifique à l’appui. Cette proposition s’est diffusée dans tout le monde occidental. Elle s’est généralisée avec la prise en charge quasi-exclusive des accouchements en milieu hospitalier et donc la quasi-disparition des accouchements à domicile, que l’on peut situer en France vers les années 1960. »
On peut également pointer du doigt l’utilisation systématique de la position gynécologique pour les examens. Outre le fait qu’un examen gynéco n’est souvent pas des plus agréable en terme de sensation (quelle merveille que le spéculum en métal), avoir ainsi ses cuisses écartées devant un quasi inconnu avec notre intimité exposée au moindre courant d’air peut être mal vécu quand on possède un vagin : on peut en effet se sentir vulnérable, ça dépend des personnes. Surtout qu’il existe d’autres possibilités pour se faire examiner, comme celle dite à l’anglaise où l’on est sur le côté, les jambes relevées : L’Obs avec Rue 89, article de Renée Greusard – « Examen à l’anglaise » : on n’est pas obligées d’écarter les cuisses chez le gynéco.
Le retour progressif de la physiologie
Dès le 20ème siècle des personnes ont proposé des visions de l’accouchement plus physiologique : Lamaze avec « l’accouchement sans douleur », et surtout Leboyer et sa vision très sereine et douce de la naissance. Cette idée de la physiologie et d’un accouchement plus libre est également entretenue par de régulières prises de positions de la part des citoyennes et des citoyens à partir des années 70. Cet héritage perdure encore et on a vu émergé des structures particulières comme les salles de naissance nature ou encore les maisons de naissance. Ces lieux sont toujours dans ou accolés aux hôpitaux. Dans ces endroits gérés par les sages-femmes, les patientes sont généralement beaucoup plus libres de leur mouvement. Elles disposent également de différents accessoires pour soulager leur douleur selon leur choix et surtout on respecte le rythme physiologique de l’accouchement. On peut accoucher dans ces lieux sous péridurale mais la façon de gérer et le contexte promeut une vision « plus humaine ».
→ Site du Ministère des Solidarités et de la Santé- Les maisons de naissance
On assiste également à un retour très léger des accouchements à domicile ( à peu près 0.6 % des naissances en 2016 selon l’Insee, que ce soit choisi ou subi) avec une sage-femme libérale spécialisée dans cette pratique. Elles (ou ils) d’ailleurs sont très peu en France, et ce notamment à cause de l’obligation d’une assurance professionnelle exorbitante pour les personnes habilitées. De nombreuses femmes souhaitent par ce biais garder leur intimité et bénéficier d’un lieu qui les rassure. En outre l’accouchement à domicile est aussi une revendication à garder la main-mise sur son accouchement, à se responsabiliser et à le vivre selon son propre projet de naissance. Pour celles et ceux qui crie au retour du Moyen-Age sachez que les naissances à domicile sont encadrées par des professionnel.le.s de la naissance, les sages-femmes, et qu’au moindre problème les patientes sont dirigées vers une structure hospitalière. Néanmoins afin de limiter les risques, si tel est le souhait de la mère, un accouchement à domicile est envisagé uniquement si la grossesse est physiologique, c’est-à-dire sans problèmes ou complications, ce qui représente 85% des grossesses. Ensuite du fait de nos conditions de vie occidentales actuelles, un accouchement à domicile est bien moins dangereux que dans les époques passées où maisons et patientes étaient dans des états très relatifs de santé. Les accouchements à domicile sont également envisagés par des femmes ayant eu une mauvaise expérience à l’hôpital lors de précédentes naissances : actes douloureux faits sans consentement et parfois sans réelles justifications médicales (bonjour l’épisiotomie !), précipitation, attitude paternaliste des soignants et des soignantes …

→ Pour mieux saisir ces dérives hospitalières je vous conseille d’écouter Un podcast à soi (n°6) – Le gynécologue et la sorcière, pouvoir médical et corps des femmes. (Arte Radio)
« Paroles blessantes, propos déplacés, gestes brutaux, manque d’empathie, actes réalisés sans explications ni consentement, absence de prise en compte de la douleur… De plus en plus de femmes racontent les maltraitances et violences vécues lors de leurs suivis gynécologiques, de leurs IVG et de leurs accouchements. Comment expliquer ces pratiques ? Les faire changer ? Comment les femmes peuvent elles se réapproprier leurs corps, leur santé ? »
→ Vous avez également l’interview de Marie-Hélène Lahaye du blog Marie accouche là pour 20 minutes : Actes non consentis, épisiotomies « à vif », déclenchements abusifs… Que se passe-t-il dans les maternités ?
→ Le hasard fait bien les choses, j’ai appris tout récemment grâce à Madmoizelle que Nina FAURE a sorti une vidéo documentaire sur Youtube qui parle de ce que l’on appelle les violences obstétricales et gynécologiques, jetez y un coup d’œil c’est intéressant et surtout primordial : https://www.youtube.com/watch?v=fsRZ59Urc2I
Que nous dis la représentation de l’accouchement dans Je ne suis pas un homme facile ?
Une représentation puissante
Chantal Birman dans son livre cité plus haut, dit ceci : « D’un point de vue social et psychologique, cette position [d’attente] est d’ordinaire occupée par les femmes. Or, au moment de l’accouchement, l’action sera dévolue à leur femme. Autrement dit, une femme qui va accoucher est dans des potentialités culturelles masculines alors que c’est le moment où elle est le plus féminine. Elle est dans la force, la puissance. C’est elle qui est dans l’action tandis que l’homme [le père dans le cas de couples hétéros], lui, est dans l’attente, le regard et … l’impuissance »
Dans le film, la capacité à enfanter est justement montrer comme une force, un accomplissement physique, un moment de puissance. Le fait d’accoucher debout (et donc sans péridurale) peut être vu comme l’affirmation d’un pouvoir. Cette société étant matriarcale on peut imaginer que, à l’inverse de chez nous, les personnes de science moderne ont été des femmes, les hommes étant exclus, or elles sont les premières concernées par la grossesse et l’accouchement. Ainsi, sûres de la connaissance de leur propre corps et des progrès de la médecine qui étaient entre leurs mains, les femmes de ce monde inversé ont fait en sorte de vivre leur accouchement de manière autonome. Il est fort probable que dans cet univers parallèle, la péridurale n’est pas hégémonique car elle amoindrit la notion de dépassement physique qui est sûrement encensé dans leur monde. Une femme qui décide d’accoucher debout est une femme qui reprend le contrôle mais qui surtout a confiance en son corps et qui est accompagné correctement. Les femmes du film étant les dominantes, elles sont, à ne pas en douter, du côté des personnes confiantes car c’est majoritairement leur sexe qui a détenu le savoir et particulièrement le savoir médical : ce dernier a donc été utilisé en corrélation directe avec le ressenti féminin.
Montrer dans ce film une femme accouchant debout dans une maternité apparemment classique, c’est l’illustration d’une histoire différente du traitement du corps féminin, un traitement global qui place les femmes dans une dynamique active et collaborative avec les soignant.e.s. Etant les premières concernées, ces femmes ne souffrent de la désinformation massive qui touchent celles de notre réalité et qui provoque alors, entre autres, une attitude très paternaliste de la part des soignant.e.s. Désinformation qui touche toute la sphère de la santé féminine : cycle menstruel, contraception, désir d’enfant (ou non désir d’enfant), grossesse, accouchement. Les praticiens et praticiennes ne se gênent alors pas pour, d’un côté, émettre des jugements de valeur et de l’autre, imposer leur vision sans informer de manière objective. C’est une dynamique où, la personne qui dispose du savoir et de la formation médicale estime que le patient ou patiente n’a pas son mot à dire quant à la gestion de son corps et de sa santé : agir ainsi c’est nier l’individu en face de soi.
à l’opposé du « souffre en silence et reproduis toi ! »
Le domaine médical ayant été majoritairement une affaire d’hommes dans l’Histoire et la misogynie millénaire aidant, les choses relatives à la santé féminine ont été souvent soit oubliées, soit investies sans ménagement, soit cachées, soit craintes ou ignorées.
De fait, « Dans un monde où l’urgence de répondre à l’impuissance masculine mobilise toutes les énergies, il reste bien peu de place pour le traitement de l’endométriose, qui fut longtemps prise pour une maladie imaginaire » (Élise Thiébaut, Ceci est mon sang). On s’est effectivement intéressé sérieusement aux douleurs menstruelles très très récemment par exemple et par la même on peut noter que la première illustration fidèle du clitoris dans un manuel scolaire date de 2017. En ce qui concerne les douleurs menstruelles et notamment dans le cas de l’endométriose, on a longtemps persécuté les femmes qui souffraient des douleurs caractéristiques de cette maladie comme l’explique Élise Thiébaut : « Au Moyen Âge, il ne fait pas bon souffrir d’endométriose, car les symptômes sont pris pour des signes de possession démoniaque. Non seulement les femmes souffrent à chaque cycle, mais elles sont soumises à des séances d’exorcisme et peuvent même être condamnées à mort« .
Précision : avec cet article je ne veux pas dire que les femmes qui accouchent sous péridurale le font par une quelconque facilité. C’est faux car l’accouchement humain est l’un des plus difficiles de tout le règne animal (et je serais bien mal placée de faire un tel jugement alors que je n’ai jamais accouché).
C’est rarement comme ça donc
L’important est dans la notion de choix. Les femmes devraient avoir le choix d’accoucher comme elles le veulent si leur état le permet. Mais pour faire un choix éclairé quant à leur projet de naissance, il faut des moyens pour l’application des différentes possibilités, car un accompagnement physiologique nécessite du temps et du personnel.
Ainsi il faudrait entre autres choses :
- plus de personnel dans les hôpitaux et notamment plus de sages-femmes
- plus de sages-femmes libérales ou libéraux (car il y a des sages-femmes hommes, on peut les appeler maïeuticiens ou simplement sage-femme)
- amélioration du statut des sages-femmes
- le développement des structures alternatives qui existent pour l’instant au titre de l’expérimentation (comme les maisons de naissance qui sont encore peu nombreuses)
- arrêter la désinformation avec des médecins et des soignant.e.s qui acceptent de se remettre en question
- une meilleure formation des praticiens et des praticiennes au sujet du consentement et de la gestion humaine des patients et des patientes
- l’acceptation d’une plus grande liberté de mouvement des femmes durant la naissance tout comme l’acceptation des différentes positions pour l’expulsion
- stopper les fermetures de maternités
Ces réflexions autour d’un retour de la physiologie ne récriminent pas les progrès médicaux et ne fustigent pas les hôpitaux car ils ont une vraie raison d’être et sont très utiles. Il s’agit plus d’un retour à l’équilibre et d’une diminution de la sur-médicalisation. On demande surtout que l’on remette les femmes à la tête de leur accouchement. On souhaite que les femmes accouchent et non pas qu’elles soient accouchées.
Dans cet état d’esprit, l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) a sorti début 2018 de nouvelles recommandations quant à l’accouchement pour qu’il soit une « expérience positive ». Il en ressort justement, entre autres, un appel au retour de la liberté de mouvement des femmes ainsi que du choix de la position et également le souhait d’une communication plus humaine entre patientes et soignant.e.s.
→ Extraits du communiqué de presse de l’OMS autour de ces recommandations :
«Nous voulons que les femmes accouchent dans un environnement sûr, avec l’assistance de personnel qualifié, dans des établissements bien équipés. Néanmoins, la médicalisation croissante des processus d’accouchements normaux diminue les capacités propres des femmes à accoucher et influe négativement sur leur expérience de l’accouchement», affirme la Dre Princess Nothemba Simelela, Sous Directrice générale de l’OMS, chargée du Groupe Famille, femmes, enfants et adolescents.
« De nombreuses femmes souhaitent accoucher de façon naturelle et préfèrent se fier à leur corps pour donner naissance à leur enfant, sans l’aide d’interventions médicales», indique Ian Askew, Directeur du Département Santé reproductive et recherche de l’OMS. Même si une intervention médicale est souhaitée ou nécessaire, la participation des femmes à la prise des décisions relatives aux soins qu’elles reçoivent est importante pour s’assurer que ces soins remplissent leur objectif d’assurer in fine une expérience positive de l’accouchement. »
Les dites recommandations (c’est en anglais) : http://www.ordre-sages-femmes.fr/wp-content/uploads/2018/02/Recommandations-OMS.pdf
Sources / Pour aller plus loin :
→ Le chœur des femmes, Martin Winckler : l’un de mes livres favoris, on y apprend beaucoup sur les préjugés et les mauvaises pratiques qui ont cours dans la gynécologie et l’obstétrique. Une ode à l’écoute et à la bienveillance entre patientes et soignant.e.s. Martin Winckler (son site : Winckler’s Webzine ) est une personne merveilleuse, c’est un médecin qui s’attelle à mieux informer les femmes (et tous les patients en général) et qui remet vraiment en question la relation qu’entretient le personnel médical avec le corps des patient.e.s Je vous mets le lien d’une rencontre passionnante entre lui et les rédactrices de Madmoizelle : https://www.youtube.com/watch?v=hLXylwsPz7o
→ Martin Winckler a également écrit sur le sujet avec un ouvrage intitulé Les brutes en blanc. Le livre existe en poche. Il parle du livre et de son contenu dans cette interview sur le plateau de C à vous : https://www.youtube.com/watch?v=FISmHD0eAlM
→ L’Obs avec Rue 89, article de Renée Greusard – « Examen à l’anglaise » : on n’est pas obligées d’écarter les cuisses chez le gynéco
→ Madmoizelle par Mymy – La réalité du sexisme lors du suivi gynéco, et les moyens d’agir
→ Mr Mondialisation : 20 femmes de science qui ont changé le cours de notre Histoire
→ Huffpost – Copines d’avant par Lauren Bastide : Trotula de Salerne, celle qui nous manque face aux campagnes gynécologistes sexistes.
→ Le blog Marie accouche là
→ Pour saisir l’ampleur des violences gynécologiques avec de nombreux témoignages : Paye ton gynéco
→ Article sur Marie-Claire, interview de Marie-Hélène Lahaye par Aurélie Sogny : Le combat de Marie-Hélène Lahaye pour un accouchement respecté
→ Le blog d’Emma
→ Communiqué de presse de l’OMS et la liste des recommandations
→ Collège National des Gynécologues et Obstétriciens Français, Extrait des Mises à jour en Gynécologie et Obstétrique –TOME XXXII publié le 3.12.2008, Analyse objective des différentes positions maternelles pour l’accouchement, C. RACINET, S. BREMENT, C. LUCAS.
→ Article sur Madmoizelle par Mymy – Le spéculum réinventé par deux femmes fatiguées de souffrir
→ Statistiques Insee sur les lieux d’accouchements
→ Article sur Slate par Béatrice Kammerer, 11 juillet 2017 : L’accouchement à domicile est-il une hérésie ?
→ Documentaire : La naissance, une révolution par Franck Cuvelier, 2011
→ Au monde, ce qu’accoucher veut dire, Chantal Birman, Points.
→ Ceci est mon sang, Élise Thiébaut, éditions La Découverte
→ Sorcières ! Le sombre grimoire du féminin, Julie Proust Tanguy, éditions Les moutons électriques
→ Histoire des mères et de la maternité en occident, Yvonne Knibiehler, Presses Universitaires de France, collection Que sais-je ?
Yvonne Knibiehler est connu pour ses écrits sur le féminin, son thème de prédilection étant la maternité. Pour résumer, selon elle, le féminisme de la deuxième vague (à partir de la fin des années 60) a beaucoup apporté aux femmes car il leur a permit de choisir ou non la maternité mais malheureusement, il a aussi, dans une certaine mesure, oublié d’inclure la maternité (et la parentalité) dans son ensemble au sein de sa réflexion. Vous trouverez des interview d’elles sur internet si ça vous intéresse.
→ Le livre noir de la gynécologie, Mélanie Déchalotte. Je n’ai pas lu ce livre mais il apporte sans nul doute beaucoup d’informations et de pistes de réflexions sur le sujet de la relation soignant.e.s/patient.e.s
Waouh :)! Quel boulot de recherche tu as du faire :)! C’est vrai qu’on voit autrement maintenant l’accouchement. L’essentiel est comme tu dis que les femmes se sentent le plus possible bien pendant ce moment.
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Merci Isa ! oui effectivement pas mal de recherches mais ce sujet me passionne alors ça va ^^
Exactement, l’important c’est de respecter le ressenti des principales concernées 🙂 à très vite j’espère ! Merci de ton commentaire 🙂
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Avec plaisir :)!
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