Ah Mélanie Laurent ! Une actrice devenue aussi réalisatrice qui n’en finit pas de questionner. À cause d’un vidéo montage maintenant viral qui la faisait passer pour narcissique et égocentrique, beaucoup se sont mis à la détester. Pourtant, il faut bien l’avouer, c’est une femme de talents dans de nombreux domaines. En tant que réalisatrice j’avais adoré son film Respire, une libre adaptation du livre haletant du même nom écrit par Anne-Sophie Brasme. J’avais donc hâte de voir Plonger qui lui aussi est une adaptation littéraire puisqu’il s’appuie sur un roman de Christophe Ono-dit-Biot.
Sorti fin 2017, le film n’a pas soulevé les passions déclenchant dans la presse des critiques très mitigées, de même chez le public. Malgré tout, je voulais me faire ma propre opinion car ce long-métrage rassemblait de nombreuses choses choses qui m’attirent : le sujet de la maternité, de l’art, l’actrice María Valverde et la réalisation de Mélanie Laurent. Et bien scoop : moi j’ai adoré.
De quoi ça parle Plonger ?
César, interprété par Gilles Lelouche, est un ancien reporter de guerre. Il rencontre Paz (María Valverde), une jeune photographe espagnole passionnée et c’est le coup de foudre. Dans la foulée du début de leur amour, le couple emménage à Paris où travaille César. La jeune femme tombe enceinte. La nouvelle enchante César tandis que sa compagne, au contraire, se sent piégé par ce futur qui s’annonce. Une sensation d’étouffement qui va la pousser dans ses retranchements ainsi que sa famille.
Pourquoi j’ai adoré Plonger ? Attention spoiler
J’ai pris 5 pages de notes devant le film tellement celui-ci regorge de points intéressants et de réflexions passionnantes. Le propos est moderne tout en étant universel : que veut-on faire de sa vie ?
Paz est passionnée, extravertie. Elle adore pratiquer son art, c’est ce qui la fait vibrer, vivre tout simplement. César lui n’a pas cette fibre artistique (bien qu’il soit devenue critique d’art paradoxalement après avoir été reporter de guerre). Du moins, il ne le ressent pas de la même manière que Paz. Or la jeune femme pose son art parmi ses priorités, ce qui décontenance parfois son compagnon. Cette volonté de se donner corps et âme à la créativité font de Paz, aux yeux de certains, une personne imbue d’elle même. Mais ce n’est pas le cas. Cette dernière pense sincèrement que l’art peut changer les choses du fait de sa propre expérience. En effet, la création et les œuvres artistiques lui font ressentir des sentiments puissants comme l’atteste la sublime scène où Paz expérimente une installation sonore et lumineuse qui reproduit les sons des profondeurs marines. Un moment magnifique, suspendu dans le temps qui m’a donné des frissons.
D’ailleurs, au sujet de l’art, Paz a une discussion avec César où ce dernier affirme qu’une oeuvre d’art ne peut changer le cours des événements, contrairement à Paz. Ils ont une sensibilité différente sur la question, mais l’une ne vaut pas mieux que l’autre.
Une vie délimitée : paternalisme et maternité
Le propos important du film c’est la confrontation entre l’idéal de vie de Paz et sa maternité. César veut des enfants, il lui dit d’ailleurs très tôt mais quand il retourne la question à sa compagne, Paz répond en toute sincérité : « No, quiero vino ! Vino ! ». Elle ne veut pas d’enfants, elle veut continuer à boire du vin, à voyager et à créer. Mais ça César ne l’entend pas. Tout le long du film, sans s’en rendre compte, il va poser autour de sa femme un carcan. Et cela commence quand il lui interdit d’aller au Yémen pour un projet photographique. Inquiet par son inexpérience de ce pays qui est dangereux, il lui interdit tout bonnement de partir malgré les promesses de prudence de cette dernière et son habitude des voyages. Paz accepte et finalement se range du côté de son compagnon, non sans une grande déception. Les intentions de César sont bienveillantes certes, mais c’est le premier pas dans sa démarche de faire de Paz quelqu’un qu’elle n’est pas et de l’entraver. Le personnage de César est en fait paternaliste : Paz est adulte mais dans sa démarche de protection, il va trop loin et lui impose les choses. Un décalage s’installe
Et c’est la même chose avec la grossesse de Paz. Quand elle lui annonce, on voit bien qu’elle est perdue et que cette perspective ne l’enchante pas. Or César est si heureux qu’il ne laisse pas Paz s’exprimer clairement sur ce qu’elle pense. Son bonheur envahit l’espace et quand il s’agit du malaise de Paz, c’est bien évidemment entièrement dû aux hormones. « J’étouffe » lui dit-elle. La grossesse n’est pas remise en question, bien au contraire et César est aveugle aux désirs et aux craintes de Paz, il n’entend que son propre désir de devenir père.
Se sentir dépossédé de soi
Dans Plonger, l’art de Paz est mis sur le même plan que son enfant. Si bien qu’inévitablement, l’un s’annonçant, l’autre s’efface. Or ce n’est pas la perspective d’être mère qui la fait vibrer, c’est de créer. La grossesse puis la naissance de leur garçon a un effet terrible sur elle. Elle se sent piégée et dépossédée d’elle-même, sa nature est bousculée. Se voire interdire la cigarette, l’alcool, « el vino », ce sont autant de petites choses qui la gênent, l’énervent bien que ça puisse sembler futile.
« J’ai plus d’idées. Je devrais être remplie et je suis vide » Paz
Cet aspect est également bien montré avec la problématique de l’atelier qui est beaucoup plus profonde. L’une des pièces de l’appartement est en effet l’atelier de Paz sauf qu’il apparaît rapidement que pour plus de praticité, son atelier doit devenir la chambre du petit. Bouffée par la culpabilité mais aussi par la frustration, Paz est déboussolée à cette idée car cet atelier, c’est son cocon de création, son lieu à elle. Là aussi détail qui peut sembler égoïste mais comme le dit Virginia Woolf avec son oeuvre célèbre Une chambre à soi, publié en 1929 : “Une femme doit avoir de l’argent et une chambre à soi si elle souhaite pouvoir écrire des histoires.”. Autrement dit, certaines conditions sont indispensables pour se consacrer à l’art : de quoi vivre financièrement et un lieu dédié à la pratique artistique. L’atelier de Paz, c’est l’équivalent de la « chambre à soi » dont parle Virginia Woolf, il lui est essentiel mais elle doit s’en séparer. Ce lieu n’est plus le sien, il devient celui de son fils.
Tout cela peut donc faire passer Paz pour une égoïste mais il faut changer d’angle de vue, de perspective et comprendre que ce qui se passe dans sa vie, elle le subit, plus qu’elle ne le choisit, pour faire plaisir à César. Lui, il a eu le temps de vivre, d’expérimenter. On comprend par exemple qu’il prend plaisir à raconter ses anecdotes de reporter mais Paz elle, avec son couple et sa grossesse, on lui retire cette chance de vivre pour elle, comme l’a fait César. La différence d’âge entre les deux joue probablement car ils sont à des moments de leur vie différents avec des aspirations différentes : César veut se poser, Paz a encore la bougeotte et dit qu’elle ne veut pas être » immobile ».
Partir pour se retrouver
Durant toute sa grossesse, Paz tentera d’apprivoiser son état et de composer avec. Elle expérimentera beaucoup mais inexorablement son art lui échappe. Elle dit que ses photos transpirent « son doute et sa peur », que son « œil » de photographe « est absent ».
Sa dernière exposition prouve à quel point elle s’est perdue puisque César lui-même, avec maladresse, dira de ses nouvelles photos : « avant c’était plus large, c’était plus ouvert, plus libre ». L’art de Paz reflète son malheur, sa prison. Paradoxalement, tout ce qui a fait que César est tombé amoureux d’elle, la grossesse et sa nouvelle vie le lui prennent : Paz s’éteint. Finalement elle laissera son atelier, au profit de son enfant. C’est après l’exposition que la jeune femme décide de partir, de « disparaître », pour mieux se retrouver dans le but de revenir apaisée. Paz opère une fuite en avant, car elle cherche de l’air, désespérément. Pour créer à nouveau, puisque la création est le socle de sa vie, elle doit sortir du carcan qui lui pèse, au moins temporairement mais la tragédie qui s’annonce, personne ne pouvait l’imaginer
La métaphore de l’océan
Au cours de sa grossesse, Paz adopte un requin. Elle devient sa marraine en quelque sorte et prend plaisir à suivre ses déplacements via sa balise GPS qui émet un bip régulier. Le requin, métaphoriquement, c’est Paz. Puisqu’elle ne peut plus bouger, puisqu’elle devient immobile, elle se projette dans ce requin qui lui se déplace, nage en toute liberté dans l’immensité de l’océan. Les bips sonores qui au départ l’apaisent, la rassurent deviennent essentiels à son équilibre si fragile. Si elle ne les entend plus, elle panique. Perdre son requin, c’est se perdre elle-même une nouvelle fois. C’est pour cela que lorsqu’elle décide de partir, elle part, on le devine, près du Yémen à Oman, clin d’œil à sa première entrave mais surtout lieu connu pour ses spots de plongée et surtout lieu où se trouve en fait…son requin.
La plongée agira comme une thérapie. L’éloignement pour sûr aussi. Plonger, se fondre dans le bleu de l’eau, tout ça la ramène à l’émotion ressentie lors de son écoute de l’oeuvre sonore. Une émotion qui a le doux goût de la liberté et qui la guérit progressivement. Pour preuve, la petite bicoque dans laquelle loge Paz à ce moment là est remplie d’œuvres qu’elle crée sur place : des suspensions fines et délicates semblables au mobile qu’elle avait imaginer et fabriquer pour son fils. Paz s’était retrouvée. Et c’est dans la dernière scène sous-marine que César saisi la profondeur du lien qu’entretenait Paz avec son requin. Selon moi, car il y a plusieurs interprétations possibles, il comprend enfin que le requin c’est tout simplement Paz.
S’accomplir quand on est une femme
Paz n’est pas quelqu’un d’égoïste. C’est une femme qui n’était pas prête à être mère. Peut être que ce souhait serait apparu plus tard. Néanmoins au moment du film, ce n’était vraiment pas ce qui lui fallait. Paz a le droit de souhaiter une vie différente des schémas traditionnels. Tout le film est là pour montrer à quel point sa tentative de se conformer la fait souffrir. César est perdu face à sa compagne, il aime la passion de Paz mais il tente de l’apprivoiser, de la mettre en cage comme un oiseau rare pour la garder auprès de lui. Mais ainsi emprisonnée elle meurt, tout simplement parce qu’on la prive de sa nourriture à elle : la création. Gilles Lellouche d’ailleurs, comprend très bien le propos du film. Il explique ainsi dans une interview que Plonger c’est au sujet des femmes qui ne veulent pas être mères ou femmes au foyer, que ça parle des femmes qui ont autant soif d’aventures que les hommes.
Tout simplement parce que c’est une question d’individu, pas de sexe mais la maternité, entre autres choses, peut être une entrave comme ça été le cas pour Paz ou pour de nombreuses artistes ou femmes scientifiques par exemple.
Avoir un enfant doit être un choix, une décision voulue de tout son être . Car c’est un bouleversement autant émotionnel que physique, que ce soit au moment de la grossesse puis après dans l’éducation et la protection de cet être vulnérable. C’est un événement qui bouscule la vie dans son entièreté et c’est pourquoi il doit être réfléchi et conscientisé. Les femmes qui décident de ne pas devenir mères sont très lucides quand à leur vision de leur propre vie, ce n’est pas faire preuve d’égoïsme, c’est faire preuve d’honnêteté et même de générosité puisqu’elles n’infligent pas à un individu qui n’a rien demandé, une mère qui n’en n’est pas vraiment une. Comme l’explique Mona Chollet dans Sorcières, il y a trois sortes de femmes : celles qui sont faites pour être mères, celles qui sont faites pour être des tantes et celles qui ne devraient pas approcher un enfant à moins d’un kilomètre. Une femme peut se réaliser en dehors de la maternité, certaines peuvent se réaliser par ce biais et certaines peuvent également s’épanouir à travers plusieurs choses dont le fait fait d’avoir des enfants. La recette est propre à chacune. Paz aime son petit mais cette vie, ce n’est pas ce qui lui faut pour être heureuse. C’est tout.
Conclusion
Plonger est un bijou. Je ne sais pas dans quelle mesure le film s’éloigne ou pas du livre d’origine mais le long-métrage est magnifique. J’ai été très touchée par les émotions de Paz et son rapport à l’art, son désespoir mais aussi ses fulgurances. Son lien avec César et leur fils est également touchant bien que chaotique et pas toujours très sain. Mélanie Laurent a très bien rendu visuellement les sentiments de ses personnages à travers un beau travail de lumière et de colorimétrie : une ambiance terne à Paris, symbole d’enfermement et une lumière aveuglante à Oman, lieu de la renaissance. Les scènes sous-marines sont également bluffantes. J’aime ce film pour sa sensibilité et ses acteurs très justes. Gilles Lellouche est convaincant dans son rôle de quadra bienveillant mais paternaliste tandis que María Valverde transcende l’écran de toutes parts. La musique est aussi très bien choisie et accompagne parfaitement certaines scènes. En bref, j’ai adoré ce film qui m’a bouleversé (et fait pleuré deux fois). Peut-être qu’il ne vous parlera pas mais donner lui sa chance, il le mérite.
Pour en savoir plus :
→ Antastesia – Pourquoi je ne veux pas d’enfants
→ Antastesia – Re- Pourquoi je ne veux pas d’enfants
→ J’ai choisi de ne pas avoir d’enfants – La Maison des Maternelles
Tu écris très bien, c’est passionnant de te lire !
Je suis plus mitigée que toi en ce qui concerne ce film car je me suis ennuyée en le regardant, malgré le talent de sa réalisatrice.
J’avoue avoir trouvé l’héroïne égoïste, car son fils n’a pas demandé à venir au monde ; je pense qu’elle a manqué de courage à un moment donné…Mais, il est vrai que l’on commet tous des erreurs, et en tant que créatrice et amoureuse des animaux marins j’ai l’impression d’avoir compris sa « fixette » envers le requin.
« Respire » est un bon film, et je ne peux que vivement conseiller à tout un chacun le roman d’Anne-Sophie Brasme.
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Merci beaucoup : )
Effectivement je comprends que le film divise. Son rythme est particulier et son sujet complexe. J’ai moi aussi adoré Respire et le roman je l’ai dévoré en un après-midi ❤
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