Liberté et maternité : quand des camps s’affrontent – Partie 2 : l’allaitement

L’allaitement : des lacunes …

Pour l’allaitement c’est le même problème que pour l’accouchement. Beaucoup de questions mais aussi beaucoup de préjugés et un manque criant d’experts dans les maternités ce qui aboutit à un taux d’allaitement faible en France et qui ne cesse de diminuer dès le premier mois du nourrisson.

« En France, le taux d’allaitement à la sortie des maternités est parmi les plus faibles d’Europe : 70,5% des femmes initient un allaitement en maternité1, quand les pays scandinaves ont des taux d’allaitement exclusif avoisinant les 90 %. Ce taux baisse très rapidement2 : il passe à 35 % dès un mois, chute à 10% à trois mois et n’est plus que de 1,5 % à 6 mois (taux que l’OMS appelle à porter à au moins 50% partout dans le monde3). » Source 2017 COFAM (Coordination française pour l’allaitement maternel)

Alors commençons par une vérité : l’allaitement est à tout point de vue « l’idéal ». Néanmoins le lait infantile fait également l’affaire et on a le droit de ne pas vouloir donner le sein. Allaiter c’est une expérience qui peut être merveilleuse mais c’est fatiguant et c’est partager son corps pendant de longs mois avec des possibles douleurs et autres contraintes. Bref c’est une décision particulière, assez intime. Dans cet article je ne porte pas de jugements contre le biberon, mon but est de faire comprendre que l’allaitement souffre encore d’une image biaisée et que tout le monde serait gagnant si on en parlait plus et mieux . L’important est d’être bien renseigné afin de choisir en toute connaissance de cause.

Témoignages Allaitement et Biberon – Cool Parents Make Happy Kid (une grande variété dans les réponses, c’est appréciable)

Il y a malheureusement en France un accompagnement à l’allaitement très inégal en terme de qualité. Il est donc indispensable de se renseigner avant si vous avez le projet d’allaiter car ça a beau être un processus naturel, cela ne veut pas dire que c’est facile, loin de là. De bons conseils et un environnement bienveillant sont essentiels pour le mener à bien.

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Afin de vous informer, vous pouvez lire des ouvrages, consulter le site de la Leche League (attention une mine d’infos mais c’est clairement pro-allaitement à fond) faire appel à une conseillère en lactation ou fureter sur de nombreux comptes instagram qui regorgent de conseils ultra pertinents (camille.lolohelpeuse, apasdemoa, laurie__daniel ). Plus vous serez informé.e.s, plus vous serez préparé.e.s et moins on pourra vous la faire à l’envers. Car oui le problème en France, c’est qu’il n’y a pas vraiment de « culture de l’allaitement » et que la plupart du temps, on ne vous aidera pas (ou mal) ou alors on vous découragera pour vous tourner vers un biberon de lait infantile. Cette situation peut s’expliquer par 4 raisons.

Une transmission différente : auparavant la grossesse et l’allaitement c’était une affaire de femmes qui échangeant entre elles. Désormais avec l’incursion du milieu hospitalier et de l’éloignement des générations, les futures personnes allaitantes sont moins bien entourées avant et pendant leur allaitement.

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Raciste et stupide

Une organisation sociétale pas adaptée : En France on est vraiment des billes en ce qui concerne les congés parentaux (pas assez longs, pas bien rémunérés etc… alors que l’OMS par exemple recommande un allaitement exclusif les six premiers mois de la vie). Une reprise du travail rapide (car souvent y’a pas le choix) complique la continuité de l’allaitement et nécessite généralement de tirer son lait. Vous pouvez tirer votre lait et le donner via un contenant adapté (pas de biberon si vous voulez poursuivre les tétées) et allaiter au sein quand vous êtes avec votre petit. L’allaitement prend du temps et malgré les idées reçues le sevrage naturel chez l’humain est au minimum à partir de…deux ans et demi ! Un vrai parcours du combattant qui implique la personne qui allaite ainsi que le compagnon ou la compagne ! Pas d’obligation là dedans mais une petite remise en perspective de ce que l’on croit savoir 😉

Publicité Nestlé 1940
Pub de 1940

L’action des lobbys de lait infantile : Les industriels sont terriblement malins. Ils ont réussi à provoquer un changement d’opinion et d’habitude afin de vendre leur produit. Avant et lors des guerres, un marché est apparu car un besoin s’est fait sentir : lutter d’abord contre la malnutrition puis nourrir les enfants lorsque les mères étaient à l’usine pour remplacer les hommes partis au front. Les substituts de lait maternel fleurissent alors pour des raisons compréhensibles mais vite gagnent du terrain hors de toute considération véritablement nécessaire. C’est les débuts des campagnes publicitaires et du lobbying de Nestlé et consort qui iront jusqu’à s’infiltrer dans les maternités et copiner avec le personnel de santé afin de vendre leur marchandise à la source. Pratiques qui continuent encore. En occident, notre confort de vie permet  une bonne sécurité alimentaire et des soins rapides ce qui est très bien quand il s’agit de donner des biberons puisque ces derniers doivent êtres stérilisés et la poudre mélangée à de l’eau potable. Dans d’autres régions du monde où les populations sont dans des conditions précaires, le marketing et le lobbying agressif de Nestlé a provoqué des morts.

→  Comment les fabricants de laits infantiles font passer leur profits avant la santé des nourrissons – Notes de synthèse en Français (l’étude anglaise : ici)

Nestlé : pourquoi il faut boycotter cette marque ignoble… – L’indigné du canapé

Préparation des poudres pour nourrissons pour une alimentation au biberon à la maison – Fiche pratique de l’OMS

Bien choisir le lait végétal infantile pour son bébé – Aude BD The Little World

Prenez La Route #1 : La baston des biberons (scandale Lactalis, enquête sur l’allaitement maternel) – Youtube

La deuxième vague féministe : le féminisme des années 60/70 nous a permis d’acquérir des avancées considérables (surtout en métropole car dans les régions d’outre mer c’était pas la même histoire, deux pois deux mesures) avec la contraception et l’avortement. La maternité avait désormais la possibilité d’être choisie, c’était l’étape la plus importante. Néanmoins certaines féministes de cette époque, les universalistes notamment, en plein combat pour redéfinir le « sujet femme » et choisir leur maternité, n’ont pas réfléchi sur la maternité en elle-même et l’ont plus considérée comme un choix aliénant plutôt que comme un statut qui pouvait être repensé et inclus dans une réflexion féministe et sociale. Dans cet esprit de liberté et de revendication de son identité de sujet et plus seulement de mère, le biberon se répand et devient la norme car il permet de redistribuer les cartes de l’activité nourricière. De fait avec l’utilisation d’un ustensile, la mère n’est plus forcément celle qui nourrit, c’est un acte que tout le monde peut faire. Le biberon est une gageure de liberté corporelle et il est vrai que décider d’allaiter c’est dévouer son corps, le partager (à la demande) avec un autre être humain après l’avoir déjà fait grandir à l’intérieur de soi.  Et comme dit plus haut, dans notre organisation sociétale avec un monde du travail fait par et pour les hommes, une femme qui vient de devenir mère ne colle pas ou du moins difficilement et c’est à elle de s’adapter alors que en toute logique ce devrait être l’inverse.


Au cours du XIXe siècle, la révolution industrielle a aspiré les hommes hors du foyer familial, en généralisant le salariat. Un Code du travail a organisé peu à peu les tâches, les horaires, les salaires, les hiérarchies. Il a été élaboré par des hommes, pour des hommes, alors exonérés des tâches domestiques. Quand les femmes, à leur tour, se sont massivement tournées vers les activités rémunérées, elles ont dû entrer dans ce moule du travailleur.

Yvonne Knibiehler, La revanche de l’amour maternel


et beaucoup trop de jugements

Au delà des problèmes d’accompagnement, s’il y a bien une chose qui est néfaste à l’allaitement c’est le jugement des autres. Allaiter, et de surcroît longtemps et/ou en public, provoque parfois des commentaires désobligeants, des haussements de sourcils et des mines dégoûtées.

 

Parfois c’est parce qu’on juge l’allaitement comme une pratique désuète qui ne siérait pas à la femme moderne. En fait c’est une pratique normale pour une majorité de la Planète mais on nous a persuadé en Occident qu’être moderne c’était se distancier de nos corps et de leurs fonctions, renier le fait que nous sommes des animaux et en particulier des mammifères. On dit : « Je ne veux pas allaiter, je ne suis pas une vache ! » Quelle triste ironie quand on sait que désormais, dans le monde industriel, rares sont les vaches qui allaitent leurs petits, leur lait allant aux humains.

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Tout orgueilleux qu’il est, l’Occident aime à se croire supérieur dans tout ce qu’il fait, ainsi donner le biberon serait une nouvelle preuve de progrès et d’évolution. Pas forcément quand on réfléchit deux minutes. Le biberon est une invention utile et intéressante, qui s’avère nécessaire dans certains cas mais l’allaitement, contrairement à ce qu’on pense de lui, est une pratique tout à fait sensée et intelligente aussi. La personne qui allaite a rarement besoin d’ustensile, son corps est l’outil et il est sacrément bien fait. La nourriture est là, prête, et s’adapte en temps réel aux besoins du petit. Point de boîtes de lait maternisé, point de déchets, l’allaitement est écologique en plus d’être bénéfique. Alors pas moderne l’allaitement ?

Le second jugement découle du premier mais ajoute une belle grosse cuillère de sexualisation au tout. Je n’arrive plus à compter le nombre de témoignages de femmes à qui ont a fait des remarques par rapport à leur allaitement. Les gens en France sont si mal informés qu’ils sont persuadés que le sevrage naturel a lieu très tôt ce qui fait que les femmes qui ont un allaitement dit « long » sont vues comme des « dégénérées ».

Mais le plus grave c’est sans doute cette perpétuelle sexualisation du corps féminin. Peut importe la situation, la femme ne peut disposer de son corps comme elle le souhaite et ce dernier sera toujours considéré comme le support visuel érotique de cette société hétéronormative. Deux choses se jouent dans cette sexualisation : la jalousie et l’exhibition.

La poitrine des femmes. On l’habille, on la corsète, on la montre et on la chérit comme une zone séductrice et sexuelle (ce qu’elle peut tout à fait être) à un tel point qu’on en oublie le pourquoi de sa présence biologique : produire du lait. Cette amnésie du patriarcat condamne les femmes à une double peine. Ainsi, non seulement elles peuvent parfois se sentir mal à l’aise vis à vis de leur compagnon et quand elles allaitent dans des lieux publics on leur dit qu’elles s’exhibent et qu’elles provoquent.

Les pères qui jalousent la situation de l’allaitement (et font du coup en sorte de l’écourter) car ils estiment que les seins de leur compagne sont leur « jouets », allez bien vous faire foutre. Cordialement.

Cette notion d’accaparement du corps féminin par les hommes est très ancienne :


« Pourquoi cette fonction, apparemment primordiale, fut-elle si souvent confiée à une autre personne que la génitrice ? Le recours à des nourrices mercenaires était déjà fréquent dans la Rome antique. L’Eglise n’a jamais condamné cet usage païen. Le sperme gâte le lait, disait-on ; en conséquence, les relations conjugales devaient être suspendues pendant l’allaitement. Plutôt que de subir cette frustration, ou de commettre l’adultère (péché mortel), le père préférait écarter le nourrisson. »

Yvonne Knibiehler, La revanche de l’amour maternel


 

Dissocier le sein érotique du sein maternel n’est pas forcément une chose aisée pour tout le monde mais dans le cadre d’un allaitement, le compagnon doit se montrer coopératif car l’influence du conjoint (ou conjointe) est déterminant dans une bonne poursuite de l’allaitement. Il faut donc se préparer au fait que sa compagne, si elle allaite, soit tourné corporellement parlant vers une autre personne que vous. Le compagnon dans le cadre d’un couple hétéro, peut également se sentir exclu et jalouser l’allaitement parce que c’est un lien charnel mère-enfant qu’il ne pourra pas connaître. Pour autant, le parent qui n’allaite pas n’est pas moins important, ni privé de contact : porter, baigner, le peau à peau… toutes ces choses sont à sa portée et tout aussi nécessaires !

Campagne "When Nurture Calls" par Johnathan Wenske et Kris Haro
Campagne « When Nurture Calls » par Johnathan Wenske et Kris Haro

 

Quant à l’exhibition. Bon sang c’est triste de voir à quel point la société a lavé le cerveau de certain.e.s. Déjà voire dans l’acte de nourrir un enfant une exhibition volontaire, c’est tordu mais en plus se permettre de dire à ces femmes de se couvrir, de se déplacer ou d’aller dans les toilettes c’est un manque totale de respect. Si cela vous gêne, regardez ailleurs. La mère qui allaite n’est pas le problème, c’est vous. Donner le sein dans un lieu public n’est pas une décision préparée, c’est une réponse à la demande car quand un bébé a faim, il a faim et il s’en fout que vous soyez chez vous ou dans une salle d’attente. Si en tant que mère allaitante, vous souhaitez vous isoler, c’est votre droit personnel mais à aucun moment le regard des autres ne devrait empêcher un enfant d’être nourri partout car des débiles ont le toupet de ramener leur fraise. Les hommes se promènent torse nu tous les étés mais les seins féminins sont encore et toujours vus sous le prisme de la sexualité et censurés à tout va !

On arrête de porter un soutien gorge → on veut aguicher

On allaite dans un lieu public → on veut aguicher

On allaite longtemps → on veut aguicher et on a un problème mental à la limite de l’inceste

Bravo Jesta et tous.tes les autres qui militent pour normaliser l’allaitement !

Jesta Hillman Allaitement

Léa Je ne suis pas jolie allaitement

Lâchez-nous la grappe en fait et gardez vos commentaires pour vous. À ce que j’en sais on vous demande pas de manger votre sandwich dans les water alors…

 


En bref :

Les principaux conseils pour un allaitement (ou un tire allaitement réussi)

  • connaître les différents obstacles possibles et leur solution (frein de langue, candidose, crevasses, position du bébé, RGO, les réflexes d’éjection)
  • Ne pas hésitez à demander de l’aide
  • Implication indispensable du conjoint.e quand c’est un couple
  • savoir reconnaître les différents pics de croissance qui entraîne des tétées BEAUCOUP plus nombreuses (certaines pensent alors qu’elles n’ont plus assez de lait mais la plupart du temps c’est juste une phase de demande intense à cause d’un pic de croissance)
  • être au courant des contenants alternatifs au sein en cas de tire allaitement par exemple afin d’éviter la confusion sein/tétine

alternatives biberon confusion sein tétine Maman lune

 

Pour se détendre : une chouette chanson ironique sur le fait que les nouvelles mères seraient des exhibitionnistes

Sources et Ressources pour aller plus loin !

Vidéo :

J’AI FAILLI TOUT ARRÊTER ! L’ALLAITEMENT⎪JENESUISPASJOLIE

Blog :

Cool Parents Make Happy Kids – Education positive

Mon allaitement – Syndrome du neurone unique

Livre :

Manuel très illustré de l’allaitement, Caroline Guillot

L’art de l’allaitement maternel, La Leche League (une vraie bible mais clairement pro-allaitement, ce livre peut ne pas plaire à des personnes hésitantes et à ce que j’ai compris n’aide pas forcément pour l’allaitement et la reprise du travail)

Podcast :

Le nid

La Matrescence

Bliss

 

 

 

 

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