Alex, Jane et Sukie jouées par Cher, Susan Sarandon et Michelle Pfeiffer, The Witches of Eastwick, 1987

The Witches of Eastwick, un film diablement féministe

Dans The Witches of Eastwick, film réalisé par George Miller en 1987, trois jeunes femmes aux talents inhabituels vont être confrontés à l’arrivée d’un homme très particulier dans leur petite ville tranquille. Sous l’apparence d’un film fantastique standard, Les Sorcières d’Eastwick offre un propos féministe subtil et pertinent.

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Vous le savez peut être, les sorcières font parties de mes héroïnes favorites car leur histoire est indéniablement liée à celle du féminin. Centré sur trois héroïnes fascinantes, The Witches of Eastwick était donc un candidat parfait pour ravir ma curiosité cinéphile et mon cœur de féministe. Et bien pari gagnant !

Le féminisme des Sorcières d’Eastwick est subtil, bien amené avec des personnages nuancés. Cela permet une ambiance et un contexte réaliste qui confère à l’aspect dénonciateur et critique du film, plus de poids et de pertinence.

Alex, Jane et Sukie jouées par Cher, Susan Sarandon et Michelle Pfeiffer, The Witches of Eastwick, 1987
Alex, Jane et Sukie jouées par Cher, Susan Sarandon et Michelle Pfeiffer, The Witches of Eastwick, 1987

Les trois héroïnes, Alexandra, Jane et Sukie, sont des figures indépendantes. Divorcée, veuve ou larguée, chacune d’elle gère sa vie seule malgré les aléas et les exigences du quotidien. Interprétées respectivement par les géniales Cher, Susan Sarandon et Michelle Pfeiffer, ces trois femmes modernes, intelligentes et créatives se soutiennent mutuellement dans un véritable esprit de sororité et d’amitié.

La relation aux hommes

Parmi leurs problèmes il y a le sexisme. Ce dernier apparaît à travers le rapport qu’ont certains hommes avec elles. Par exemple,  Jane est confrontée à un patron harceleur qui joue sur la pression de l’emploi pour lui faire des avances totalement déplacées alors même que celui-ci se targue d’être un défenseur des bonnes valeurs traditionnelles.

 

Dans le film, les héroïnes voient même leur valeur être abaissée à un statut primaire de reproductrice. Ainsi, Sukie a été quittée par son compagnon car elle était « trop féconde ». A l’inverse, Jane l’a été parce qu’elle ne pouvait avoir d’enfant. Triste paradoxe.

Avec en toile de fond, ce désert sentimental et sexuel où elles ont l’impression qu’aucun homme ne peut être un partenaire digne de ce nom, les trois jeunes femmes vont voir apparaître celui qui paraît correspondre à toutes leur attentes en la personne de Daryl Van Horne. Interprété par le fameux Jack Nicholson, cet étranger mystérieux va charmer les protagonistes principales et bouleverser leurs vies.

Van Horne : l’archétype du compagnon manipulateur

Jack Nicholson dans le rôle de Daryl Van Horne, The Witches of Eastwick, 1987
Jack Nicholson dans le rôle de Daryl Van Horne, The Witches of Eastwick, 1987

Van Horne est un personnage très intéressant car il est double. De prime abord, son influence est merveilleuse car il agit comme un catalyseur pour les trois femmes : il arrive à libérer sexuellement et musicalement Jane, il ne blâme pas la fécondité accrue de Sukie (il l’encense même) et il pousse Alexandra à voir les choses en grand avec ses sculptures. Par cette capacité qu’il a de les libérer et de les rendre plus fortes, il va également développer leurs capacités de sorcières qui vont s’épanouir en même temps qu’elles même vont se réaliser en tant que femmes.

De plus, Van Horne tient des propos très pertinents (et véridiques) sur la vision des femmes dans la société : comme la fois où il explique à Jane, que les fameuses sorcières du Moyen Âge étaient les sages-femmes que les médecins tentaient d’évincer en leur attribuant tous les maux de la Terre. Daryl glorifie les femmes, il leur voue une véritable adoration. Avec Van Horne, les trois sorcières créent alors une relation multiple unique, un Eden de liberté où ils vivent tous en harmonie.

Néanmoins, Van Horne a deuxième visage bien plus sombre, révélateur de sa vraie nature. Sous son aspect adorateur du féminin, Van Horne n’en reste pas moins un vrai goujat qui voit les femmes comme merveilleuses, uniquement du moment qu’elles lui sont dévouées. Dès que Van Horne perçoit des signes d’éloignement, il se venge cruellement et menace ses amantes. En vérité, il ne veut pas les rendre fortes, il veut les rendre dépendantes en se rendant, lui, indispensable à leur épanouissement. Le diable dans toute sa splendeur perverse et manipulatrice. Jack Nicholson parvient à retranscrire ces deux visages du personnage avec brio tant il est expressif.

Le partenaire idéal n’est donc point un adorateur ou un flatteur c’est celui qui respecte sa partenaire dans sa globalité en tant qu’être libre et donc libre aussi de dire non.

La façon très violente dont Van Horne réagit face au rejet, est typique du mécanisme à l’oeuvre dans les relations toxiques et abusives. Adorer d’abord pour séduire et piéger la victime. Puis, alterner les comportements violents et tendres pour mieux manipuler et enfin ne pas supporter le rejet. Van Horne n’est pas triste quand les trois sorcières s’éloignent de lui : il a mal à son ego. Il n’est pas question d’amour pour Van Horne. On ne tue ou on ne blesse jamais par amour : on le fait par possessivité et domination.

Extrait d’une interview parue dans le Point où la psychologue Ernestine Ronai s’exprime sur les violences conjugales et les féminicides :

→ « On ne tue pas sa femme par amour, jamais. On la tue, car on ne supporte pas de la perdre, on veut garder son objet. La vie n’a plus de sens pour les hommes si leur femme les quitte. Beaucoup, d’ailleurs, se suicident après le passage à l’acte. Il y a des violences, car il y a une appropriation de la femme par l’homme. Dans l’histoire, on a toujours enfermé les femmes, on leur a mis des ceintures de chasteté, on a pratiqué des infibulations… Tout cela pour que les hommes aient la certitude que leur descendance venait bien d’eux. Ensuite, il s’agissait de les priver de savoir, d’indépendance financière, de la place en politique, de tout ce qui les rend égales, finalement. »

Le poids de la société

Alex, Jane et Sukie sont également confrontées au regard de la société. Déjà au début du film, leur situation de femmes seules, bien qu’elle soit tolérée, reste fortement atypique. Les trois amies détonnent dans cette petite ville aux valeurs traditionnelles et chrétiennes. Quand Daryl intervient dans l’équation, la situation se complique d’autant plus.

Les habitants vont très mal considérer ce qui se passe entre les murs de la demeure de Van Horne. La relation libre et multiple qu’entretiennent les trois sorcières avec ce dernier alimente les ragots de la ville et provoque plusieurs objections.

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THE WITCHES OF EASTWICK, Veronica Cartwright, Richard Jenkins, 1987. ©Warner Bros.

La compagne du gérant du journal de la ville, Felicia Alden, a une réaction ambivalente face aux événements. Tout d’abord, fervente catholique, elle est la seule qui sent la nature diabolique du nouveau venu. Ce pressentiment la rend littéralement malade d’inquiétude. Elle est, pour son plus grand malheur, comme connectée à Daryl Van Horne , et le pire c’est que personne ne croit ses avertissements. Néanmoins, malgré sa mise en garde pertinente, Felicia Alden, prisonnière de son système de valeurs, est une personne profondément antipathique car elle juge et accuse des femmes dont le seul crime est de vivre en dehors des normes, selon une liberté qui leur est propre. Elle traite les héroïnes de « prostituées », les dénigre et tente de les écarter de la vie communale quitte à faire licencier Sukie du journal.

Faisant écho au jugement de Felicia Alden, les autres habitants et en particulier les autres femmes, vont elles aussi se faire juge de moralité et insulter celles qui leur apparaissent comme anormales et déviantes.

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Ainsi dans une scène où Jane va faire des courses dans l’épicerie de la ville, les autres clientes la pousse à partir sous les insultes. Dans cette scène, Jane tranche véritablement avec le reste des gens que ce soit par son physique ou par son attitude. En effet, au contact de Van Horne, elle est celle qui s’est le plus libérée ce qui change profondément sa manière d’être. De femme réservée aux habits stricts, elle passe à une femme joyeuse, croquant la vie à pleine dent qui s’habille de manière colorée et fantaisiste tandis que les autres ont des tenues fades et impersonnelles. Même sa coiffure change, ce qui est lourd de sens. Alors qu’auparavant elle gardait ses cheveux roux noués et attachés, elle arbore désormais une chevelure frisée et volumineuse (à l’instar de ses deux comparses et notamment de la brune Alex), qu’elle laisse lâche là où les autres femmes ont des coiffures maîtrisées et contrôlées. Les cheveux frisés revêtent effectivement une symbolique particulière. Au risque de faire de la redondance avec l’article précédent, je vais vous reparler de ce fameux article de Slate sur les cheveux frisés où l’on cite l’anthropologue Françoise Gründ-Khaznadar, co-auteure de Les cheveux: signe et signifiant :

→ « Pour cette ethnologue, les boucles apparaissent comme le signe d’une liberté sauvage, là où le lisse «est un signe de sociabilisation». Dans l’imaginaire, «la personne se plie aux règles de la société dans laquelle elle vit. La société dominatrice trouve que c’est mieux d’avoir les cheveux lisses».

Nos trois sorcières, affirment ainsi leur liberté à travers celle de leur cheveux.

Conclusion

The Witches of Eastwick vous promet un bon film fantastique, intelligent et bien plus riche de sens qu’il n’y paraît. Définitivement féministe, d’une part, grâce à ses héroïnes  indépendantes, maîtresses de leur vie et de leur sexualité. Et d’autre part via tout ce qu’il dénonce comme les comportements abusifs et le poids des « bonnes mœurs ». Le personnage de Daryl Van Horne, malgré sa vraie nature, permet des réflexions intéressantes autour de la place et de la vision du féminin. De manière ironique, l’infâme Daryl est l’artisan de sa propre destruction : en libérant les sorcières de leur carcan, c’est lui qui se retrouve piégé.

Une métaphore d’une crainte phallocrate ancestrale ? Peut-être bien.

La sobriété

PS : À l’origine The Witches of Eastwick est un roman de John Updike, mais d’après ce que j’ai compris, le sujet des femmes dans les deux œuvres est très différent. Donc n’espérez pas retrouver la sève féministe du film dans le livre 😉

Bon film je l’espère !

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