Only Lovers Left Alive, Jim Jarmusch

Trois films vampiriques méconnus

Halloween est déjà derrière nous, l’Hiver pointe le bout de son nez sous nos écharpes. Pour faire durer le plaisir de nos frayeurs d’octobre, je vous propose de revenir sur une figure mythique des monstres et créatures de la nuit : le vampire !

Déjà célèbre dans la littérature et le cinéma, la figure vampirique a été remise au goût du jour par le phénomène Twilight, entraînant une véritable vague de vampires dans la fiction livresque mais aussi sur écrans, avec la plupart du temps dans le collimateur, un public adolescent. Beaucoup d’entre nous ont entendu parler (et ont même vu) des séries comme Vampire Diaries, True Blood et je vous ai moi-même parler de la série The Strain qui aborde le vampire de façon inédite…

Néanmoins j’avais envie de vous parler de trois films autour du vampire qui mérite un coup de projecteur pour leur indéniable qualité mais également pour l’angle original sous lequel sont abordés nos buveurs de sang préférés.

What we do in the shadows (Vampires en toute intimité)

Vampires en toute intimité (What we do in the shadows), 2015
Vampires en toute intimité (What we do in the shadows), 2015

What we do in the shadows, datant de 2015 , a été réalisé par Jemaine Clement et Taika Waititi (on doit la version française à Nicolas & Bruno) , qui campent également certains des personnages principaux du film. J’ai d’ailleurs appris via une vidéo du Fossoyeur de Films, que Taika Waititi est aux commandes du très récent Thor : Ragnarok dont les critiques ont salué le côté humoristique. Et effectivement What we do in the shadows ne manque pas d’humour ! Tout le sel de ce long-métrage réside dans l’absurde et le décalage qui découle de son postulat de base : une colocation entre 4 vampires d’époques différentes essayant de passer inaperçus dans la ville de Limoges.

En prenant le parti de se présenter comme un docu-fiction, le film propose une petite dose de pseudo-réalisme qui rajoute de l’absurdité à ce à quoi nous assistons. Les personnages se querellent sans cesse comme une bande d’ados pour arriver à vivre ensemble sauf qu’ils sont des vampires, ce qui impliquent des tas d’autres problèmes plus ou moins sanglants ou dégoûtants (coup de cœur notamment pour la scène où ils se disputent au sujet des tours de vaisselle). Les personnages ont des caractères très différents, ainsi, voir tour à tour leurs confessions face caméra permet de creuser leurs histoires, leurs ressentis : on s’attache à eux (ou pas) mais surtout ils nous font beaucoup rire ! De plus, les réalisateurs s’amusent à détourner des mythes liés à la figure du vampire, voire même carrément parodier d’anciennes œuvres de fiction avec des clins d’œils plus ou moins gros.

Je m’arrête là, pour vous laisser découvrir par vous-même cet ovni d’humour vampirique ! Amusez-vous bien !

Nous sommes la nuit

Nous passons à un film un peu plus standard dans sa forme mais malgré tout original par son casting. En effet, Nous sommes la nuit, réalisé en 2010 par Dennis Gansel, réalisateur de la célèbre adaptation de La Vague, nous propose une déclinaison du vampire au féminin.

Nous sommes la nuit, Dennis Gansel, 2010
Nous sommes la nuit, Dennis Gansel, 2010

Le film relate l’histoire de Lena, une jeune délinquante un peu paumée qui joue au chat et à la souris avec la police. Au cours d’une soirée, Louise, vampire de son état mais également propriétaire d’un établissement de nuit, repère Lena et jette littéralement son dévolu sur elle. Elle la transforme et l’intègre au groupe qu’elles forment avec deux autres vampires, Charlotte et Nora. Ensemble, elles vont initier Lena à sa nouvelle vie nocturne.

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Dans la majorité des œuvres de fictions vampiriques, du moins celles dont j’ai connaissance, le vampire est souvent une figure masculine. Non pas qu’il n’existe aucun vampires féminins (ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit), mais j’ai la très nette impression que souvent les protagonistes vampires principaux sont des hommes  (Twilight avec Edward, Vampire Diaries avec les deux frères, True Blood avec Bill etc…) ou alors tout du moins, que le premier contact avec le monde des vampires se fait via un vampire masculin.

Dans Nous sommes la nuit, point de vampires masculins, pas parce qu’ils n’existent pas dans la réalité du film mais parce que les femmes vampires les ont tout bonnement éliminés. L’une des protagonistes le justifie ainsi : « ils étaient trop bruyants, trop cupides » mais on peut également y voir un besoin d’émancipation poussé à l’extrême. En effet, dans cette histoire, les vampires à l’oeuvre à l’écran sont des femmes qui n’ont que faire du regard des autres et notamment de celui des hommes. Elles mènent une vie de faste, de fête et d’excès libérées des contraintes imposées par un corps humain (et féminin).

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Nora, la plus fêtarde et volubile a ainsi cette expression lourde de sens: « On mange, on boit, on sniffe de la coke et on baise autant qu’on veut mais on est jamais grosse, enceinte ou accro ».  Bien que portant à controverse (être grosse par exemple n’a pas à être vu comme un défaut, de même pour la maternité), cette phrase résument assez bien au final leur façon de voir la vie et de la vivre. Elles vivent en femmes libres, libres littéralement de tout : elles sont indépendantes financièrement, elles ne sont pas définies par leur fonction biologique primale et elles n’ont pas la crainte de la domination masculine puisque les seuls hommes qu’elles côtoient, du fait de leur humanité, ne les égaleront jamais en force et en pouvoir. D’ailleurs, la première victime de Lena est un homme qui asservi et vend le corps des femmes : un proxénète. On est donc ici face à un paroxysme de renversement de situation, un peu comme une cristallisation exacerbée de ce qui effraie peut être finalement les ego machistes  : des femmes supérieures qui n’auraient plus besoin d’hommes. Attention, n’allait pas croire que ce film est un pamphlet anti-hommes, pas du tout ( plusieurs des héroïnes apprécient leur compagnie ou même sont amoureuses d’un homme), il se base juste sur un parti pris original qui offre différents degrés de lecture et tout autant de pistes de réflexion.

Nous sommes la nuit, Dennis Gansel, 2010
Nous sommes la nuit, Dennis Gansel, 2010

Néanmoins, là n’est pas le propos essentiel du film. Les personnages sont certes des vampires féminins mais elles possèdent tout de même les caractéristiques qu’on associe au vampire de façon générale : immortalité, nécessité de boire du sang, incapacité à survivre au soleil etc… Ainsi ce film ne parlent pas uniquement de femmes, ils nous parlent d’êtres singuliers confrontés à un état des plus particuliers : une vie condamnée à la nuit, pour toujours. Je trouve que c’est là le message fort du film : les quatre protagonistes sont toutes différentes, pas seulement parce qu’elles viennent d’époques distinctes mais parce qu’elles ne voient pas l’immortalité chacune de la même manière et n’ont pas les mêmes attentes face à elle. L’arrivée de Léna au sein du groupe va littéralement bousculer le cours de leur existence et mettre à jour les fêlures qu’elles ressentent quant à leur condition de vampire.

Foncez sous votre plaid pour voir à l’oeuvre ces damnées des temps modernes, vous m’en direz des nouvelles.

 

Only Lovers Left Alive

Pour ne rien vous cacher, c’est ce film qui m’a donné envie d’écrire cet article. Pour la bonne raison qu’il m’a mis une bonne claque cinématographique en me bouleversant bien comme il faut au passage. Only Lovers Left Alive est un film datant de 2014 réalisé par le célèbre Jim Jarmusch dont les films ont souvent été primés lors des festivals.

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Only Lovers Left Alive, Jim Jarmusch, 2013

Pour être honnête, j’avais déjà très vaguement entendu parler du film mais de un, je n’avais pas compris qu’on était en présence de vampires et de deux, je trouvais que ça avait l’air, comment dire, euh chiant. Ainsi ce n’est qu’assez récemment que j’ai appris le véritable sujet de ce film, et que donc, en bonne amatrice de fantastique, j’ai voulu rattraper ce retard et voir si ma première impression était fondée : c’est ce qui m’amena à me plonger dans cette histoire il y a quelques semaines de cela.

Only Lovers left Alive, c’est l’histoire de deux amants, Eve, jouée par Tilda Swinton, et Adam, interprété par Tom Hiddleston. Ensembles depuis plusieurs siècles, leur relative tranquillité va être troublée par la dépression d’Adam ainsi que par l’arrivée tonitruante de la petite sœur d’Eve dans leur vie.

Une déclaration d’amour pour l’art

Jim Jarmusch a écrit spécialement le film pour Tilda Swinton. Ils y ont longuement travaillé tous les deux, et pas moins de sept ans ont été nécessaire à son éclosion. Le réalisateur y a insufflé beaucoup de lui-même et de ses passions comme celle pour la musique : la bande son d’Only Lovers Left Alive a d’ailleurs été récompensée d’un oscar.

Only Lovers Left Alive, Jim Jarmusch

« La musique est la source de mes films. Les disques que j’écoute avant d’écrire un scénario font naître mes idées, me suggèrent la direction à prendre ». Jim Jarmusch

De plus, Jim Jarmush l’avoue lui-même, il aime les films de vampires à l’ancienne. Ainsi, le long métrage est patiné d’une élégance rétro, quasi poussiéreuse. Nos héros renouent avec leur dimension mystique et littéraire grâce à pléthore d’allusions aux grands noms de la littérature (et également de la musique) ainsi que par un décor débordant d’ouvrages de toutes les langues mais aussi de multiples instruments, le tout s’épanouissant dans le mystère d’une maison fatiguée.

Only Lovers Left Alive, Jim Jarmusch
Only Lovers Left Alive, Jim Jarmusch

Adam et Eve sont cultivés, curieux et créatifs : Eve passe son temps à lire tandis qu’Adam compose et se dédie à la musique. Leur vie est jalonnée de rencontres et d’œuvres inoubliables : l’un de leur ami proche n’est ainsi nul autre que Christopher Marlowe, un dramaturge britannique auréolé de légende, ici interprété par John Hurt. Jim Jarmusch joue de ces multiples références afin de convoquer un patrimoine culturel, ce qui lui permet de mieux ancrer son histoire dans une réalité historique.

Enfin, le film est beau. Vraiment beau.On sent une parfaite maîtrise de la mise à scène et de la réalisation. À tel point qu’à plusieurs moments, j’ai eu l’impression de voir certains plans comme autant de tableaux : un bijou quasi pictural.

Only Lovers Left Alive, Jim Jarmusch
Only Lovers Left Alive, Jim Jarmusch

Des êtres immortels et philosophes

Ce couple a traversé les siècles, a côtoyé les plus grands artistes. Leur histoire s’est déroulée en parallèle de la grande et parfois s’y est même entremêlée. Ils sont immortels. Avec autant d’années au compteur et l’éternité devant eux, ces deux êtres hors du temps ont pu assisté à l’évolution du monde ainsi qu’à celle de l’humanité. De ces observations, ils en ressortent désabusés, en particulier Adam, que la déchéance humaine consterne.

D’ailleurs, il afflige les humains du sobriquet de zombies, ramenant ainsi au rang de monstres, les créatures qui sont censées les avoir créées. Comme quoi le monstre, qu’il soit vampire ou zombie, en dit bien plus sur nous que ce que nous voudrions l’admettre. Ces deux vampires sont les témoins et les juges fantasmés de notre époque, à travers leurs yeux, nous voyons se dessiner notre propre disgrâce. Ainsi, d’une certaine manière, c’est comme si ils étaient plus humains que nous.

« J’étais attiré par cette profondeur historique, par la possibilité de raconter une histoire d’amour vieille de plusieurs siècles. Vous imaginez l’étendue de notre connaissance, de notre expérience, la forme de nos sentiments, le poids de notre nostalgie si nous pouvions vivre pendant des centaines, voire des milliers, d’années ? » Jim Jarmusch

Adam et Eve prennent le temps d’apprécier, de ressentir : en effet pourquoi se presseraient-ils puisqu’ils ont l’éternité ? Comme eux, le film ne se précipite pas et se déroule dans une certaine lenteur :  Jim Jarmusch a véritablement réalisé un film contemplatif qui s’attarde sur des moments suspendus, laissant libre cours à la magie de l’immersion.

Pour ne rien gâcher, Adam et Eve nous offrent une très belle histoire d’amour, empreinte d’une complicité et d’une douce passion que les siècles n’ont pas abîmées. Leur couple singulier sonne terriblement juste et est merveilleusement servi par le duo d’acteurs que forment Tilda Swinton et Tom Hiddleston. De plus, j’ai particulièrement apprécié le fait que, malgré tout, ils conservent une note d’humour ainsi qu’un certain recul sur leur statut d’immortel, en particulier Eve, qui parvient à calmer les élans dépressifs de son amant.

En définitive, vous l’aurez compris, ce film, se ressent encore plus qu’il ne se voit. Le son, l’image, les décors, les propos, l’élégance … un diamant brut qui se savoure, à la juste valeur de l’histoire qu’il nous raconte, hors du temps.

Only Lovers Left Alive fait partie des œuvres qui ont marqué ma rétine, mon cerveau et mon cœur. Tant de beauté et d’intelligence dans une même oeuvre c’est rare et ça m’a bouleversé. Prêtez attention à ce film, il le mérite.

Conclusion

En bonne mordue de fantastique, les vampires m’ont toujours fascinée du fait de leur immortalité mais aussi à cause du conflit intérieur qui anime ces êtres à cause de leur statut de prédateur. Ces trois films explorent ces différents aspects avec des approches et des tons variés comme l’a fait auparavant par exemple l’excellent Entretien avec un Vampire, l’adaptation du roman d’Anne Rice. Je suis sûre que vous trouverez votre bonheur parmi ces long-métrages et de quoi faire de jolies découvertes !

À la prochaine !

 

 

 

 

 

Sources / Pour aller plus loin :

Je vous invite vraiment à lire et voir les deux interviews que j’ai listées ci-après pour encore mieux appréhender la démarche de Jim Jarmusch, ainsi que ses influences artistiques.

→ Interview Télérama – Jim Jarmusch, Only Lovers Left Alive, propos recueillis par Laurent Rigoulet

Interview de l’équipe du film lors d’un festival

Allocine

→ Les images viennent d’Allociné et les gifs de Giphy

 

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